Elle l’avait annoncé, mais on attendait depuis quelques mois déjà ce nouveau livre de Michelle Obama. Certes, elle y met en avant son expérience, mais contrairement au premier livre, elle transcende le politique et se met en avant. Son livre est en tout point admirable, car elle développe ce qui est essentiel à la vie : rencontre, relation, survie, fragilité, vulnérabilité, amitié, etc. Mais plus encore, elle montre que le je, malgré ses grandes capacités, a besoin du tu pour être et pour exister. Elle s’acquitte avec éclat de la tâche de remettre l’Ubuntu en avant, alliant son éducation, ses qualités, sa vision de l’autre et son style.
Un abonné de ma page Facebook m’a demandé comment il est possible de faire le lien entre l’amitié (selon M. Obama) et l’Ubuntu. J’en ai parlé un peu sur les réseaux sociaux, mais je vais essayer en quelques lignes de dire ici en quoi cette vision de l’amitié de Michelle rejoint l’Ubuntu.
Qu’est-ce que l’Ubuntu ? Dans un article publié sur le magazine OU’TAM’SI, je parle de l’Ubuntu en ces termes : « Ubuntu est un terme zoulou et xhosa composé du préfixe abstrait ubu et de la racine lexicale ntu, personne humaine. Il synthétise l’aphorisme traditionnel “Umuntu ngumuntu ngabantu” que l’on peut traduire ainsi : “Une personne est une personne à travers les autres personnes. Autrement dit, c’est par sa relation aux autres qu’une personne s’humanise totalement [2].
Pour revenir à la thématique de l’amitié, je m’appuie essentiellement sur la nécessaire présence d’autrui dans la vie de chaque personne. Selon Aristote, l’amitié est le lieu absolu de l’altérité qui trouve son fondement dans le bien véritable. La relation personnelle qu’un individu entretient avec le bien, et la source de l’amour en nous nous fait considérer l’autre comme un autre nous. Cet amour pour le bien nous place en face du désintéressement comme technique relationnelle.
Michelle Obama propose une idée de l’amitié à partir d’un parcours d’expériences de rencontres autour de la table. Elle intitule d’ailleurs ce chapitre de son livre « Ma table de cuisine ». Elle écrit :
M. Obama met en exergue la façon spécifique dont elle élabore des plans de rencontres pour pouvoir se retrouver entre amies, en pointant certains moments essentiels comme les week-ends où elles devaient prendre soin d’elles :
Dans cette pratique de l’amitié, Michelle souligne l’importance des autres. Elle rappelle que dans l’amitié le respect est réciproque et qu’on ne peut pas décider à la place de l’autre. De manière implicite, et sur les traces d’Aristote, elle démontre que l’amitié implique la justice (l’égalité). Et c’est dans les petites tâches du quotidien qu’il faut faire preuve de cette égalité :
La valorisation de M. Obama de la nécessité de l’autre va de pair avec sa vision de l’amitié qui implique certains critères comme la solidité de l’âme et la confiance. Elle affirme :
Cette solidité et cette confiance qu’elle souligne avec insistance relèvent aussi des actions morales et de la capacité à se sacrifier parfois pour le bien de l’autre :
Elle souligne l’importance de l’amitié : « C’est un besoin très humain ». L’amitié chez Michelle Obama a une coloration éthique parce qu’elle concerne l’humain et son agir dans la société.
L’amitié prend sous la plume de Michelle Obama un relief particulier. En insistant sur la revalorisation de l’amitié, elle souligne l’importance de l’autre et de la communauté selon le sens fondamental de la philosophie Ubuntu. Elle va dans le sens de Paul Ricœur qui souligne que le soi « a besoin d’un autre que lui pour attester son être ». Dès lors, il ne faut pas hésiter à aller vers l’autre lorsque le besoin se fait ressentir. Elle est bien consciente que toute ouverture à autrui comporte un risque, puisque. « l’amitié est au moins au début, un pari émotionnel ». Mais dans l’amitié, il faut se dévoiler un peu pour créer l’espace relationnel à l’autre : « Toute amitié nécessite un élément déclencheur. À un moment donné, il faut que l’un des deux protagonistes exprime sa curiosité ».
Michelle Obama, au fil de son essai, prend position par rapport à cette nécessité de l’amitié, en se basant sur plusieurs rencontres de sa vie depuis l’Université jusqu’à la Maison-Blanche. Elle note qu’aussi que parfois une rencontre ou un regard suffit pour que l’on comprenne qu’on est là en face d’une amie potentielle. Elle fustige la nouvelle vision de la société qui ne crée pas d’occasion pour permettre aux jeunes de se faire des amis. L’amitié pour elle est une réponse à la solitude qui mine la société. Se retrouver avec soi-même est nécessaire, mais cela ne suffit pas à l’humain et on ne saurait le réduire à cela. La place de l’amitié se comprend dès lors à partir du besoin humain de la rencontre, de la confidence et de la complétude. L’amitié est de ce fait, le lieu de l’accomplissement de l’humain. C’est dans l’autre que se situe notre vraie réalisation (Ubuntu). Comme le souligne Aristote, « nous sommes portés vers l’ami ». En développant la notion de l’amitié, Michelle a touché l’un des lieux les plus précieux de l’Ubuntu.
Pénélope Mavoungou