NADIA CHEZ LES QUADRA

© Autre presse par DR

Dans le vaste panorama de la littérature africaine, Nadia Origo se distingue comme une figure polymorphe, naviguant avec aisance à travers les multiples facettes de l’écriture. Sa trajectoire tant académique que professionnelle reflète un éclectisme rare, où elle s’illustre tantôt en poésie, tantôt en prose romanesque, et encore en tant qu’essayiste éclairée. Mais ce qui la caractérise le plus, c’est son talent inné pour insuffler une profondeur singulière aux mots, leur conférant une résonance qui transcende les pages.

Son essai intitulé Quadrature, paru en 2022 sous l’égide des Éditions la Doxa, se présente comme bien plus qu’une simple compilation de textes. Il se déploie tel un éveil, un appel à la conscience, dévoilant avec subtilité la réalité plurielle de l’existence. À travers ses mots, Origo ne se contente pas de dépeindre le monde tel qu’il est, mais s’engage dans une exploration introspective et sociétale, offrant ainsi une vision nuancée de notre époque.

L’importance de son œuvre réside également dans son ancrage féministe. Dans un contexte où la voix des femmes reste trop souvent étouffée, Origo s’affirme comme une voix audacieuse, révélant les multiples visages de l’engagement féminin contemporain. En cela, elle contribue à l’essor d’une littérature où les voix féminines sont célébrées et mises en lumière, participant ainsi à la réappropriation de l’histoire et à la construction d’un nouveau récit collectif.

Je me réveille donc ce matin, comme sonnée par la gueule de bois de toute une vie d’ivresse. Le moral en berne. J’ai la flemme. Le découragement et le désespoir sont assis devant moi et me regardant droit dans les yeux. Un miroir me fait face, celui de mes années passées, de mes désillusions qui venaient de tomber sur le sol comme des petites pièces de monnaie sans grande valeur, mais sonnantes et trébuchantes.

Quadrature de Nadia Origo aborde avec une richesse foisonnante la période charnière de la quarantaine, explorant non seulement ses aspects tumultueux, tels que la crise identitaire souvent associée, notamment chez les femmes, mais également d’un regard scrutateur, elle interroge le monde contemporain à travers une multitude de prismes. Des enjeux brûlants comme le changement climatique aux conflits internationaux en Ukraine et en République démocratique du Congo, en passant par l’impact des réseaux sociaux et les défis de l’éducation, Origo tisse une toile complexe où chaque fil contribue à la trame de la réflexion.

Dans cet ouvrage, aucune catégorie sociale particulière n’est visée. Au contraire, il se déploie comme le récit introspectif d’une femme à la croisée des chemins, sondant les profondeurs de son être et du monde qui l’entoure. La première partie de l’ouvrage s’érige ainsi en une série d’interrogations poignantes sur la condition féminine, donnant voix aux préoccupations et aux aspirations de toute une génération.

La seconde partie, quant à elle, adopte une approche circulaire, explorant la dimension cyclique de la vie à travers le prisme de la quarantaine. Des réflexions sur l’engagement et la féminitude émergent alors, tissant des liens subtils entre passé, présent et avenir.

Enfin, les derniers chapitres de l’ouvrage s’inscrivent dans la continuité de cette réflexion, portant en eux une volonté inébranlable d’avancer avec confiance vers l’avenir, malgré les incertitudes qui jalonnent le chemin. Ainsi, Quadrature transcende les frontières du genre littéraire pour devenir un témoignage poignant de la quête de sens et de vérité qui habite l’âme humaine.

Je ne suis pas aussi vieille que ça, me dis-je. Pourquoi donc ai-je le sentiment de venir d’un monde autre que celui dans lequel je vis depuis peu ? Tout m’oppose et tout s’oppose à moi et en moi.

Pour Nadia Origo, il semble parfois que nos contemporains soient nés dans un monde virtuel, tellement le temps semble filer à une vitesse déconcertante. La période de la quarantaine, en particulier, suscite une profonde remise en question de l’identité et de la perception de soi. L’auteure met en lumière une dissonance entre le temps qui s’écoule inexorablement et la manière dont l’individu se perçoit, révélant ainsi une prise de conscience poignante ou même un décalage entre l’âge chronologique et le ressenti intérieur. Elle montre ainsi qu’il peut émerger un sentiment de décalage entre le monde extérieur et notre monde intérieur. De ce fait, elle souligne une forme de nostalgie ou de sentiment d’étrangeté face à notre environnement actuel. L’expression « Tout m’oppose et tout s’oppose à moi et en moi » renforce cette notion de conflit, tant interne qu’externe, qui peut parfois sembler insurmontable. Dans ces moments de perplexité, la solitude peut s’avérer être un refuge bienvenu, offrant un espace de réflexion et de recueillement pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.

En somme, la quarantaine nous confronte à la fois à la fugacité du temps et à la complexité de notre propre être, nous invitant ainsi à naviguer avec sensibilité à travers les méandres de notre existence et du monde qui nous entoure. Dès lors, il n’est pas surprenant que la période de la « quadrature » soit souvent une période de remise en question intense pour beaucoup. Souvent, elle est marquée par la pression sociale et les attentes projetées sur cette phase de vie. D’ailleurs, les quadragénaires se retrouvent parfois confrontés à un regard extérieur qui leur assigne un contexte, une histoire, et même une destinée à la quarantaine.

Pour nombre de femmes, cette étape est perçue comme un moment de métamorphose physique, où les désirs de paraître et le besoin de reconnaissance peuvent prendre des proportions démesurées. Il y a, par exemple, la tendance à forcer les choses, à chercher la célébrité ou à céder à une résignation tacite face à l’avancée du temps. Mais pour Nadia Origo, cette période est avant tout une invitation à assumer pleinement son parcours, à se faire confiance et à avancer avec assurance. Elle nous rappelle aussi que c’est dans cette acceptation de soi, dans cette confiance en nos capacités, que réside la clé pour traverser cette étape de la vie avec sérénité. Mme Origo encourage notamment à cultiver la foi en nos rêves, car ils demeurent des compagnons fidèles jusqu’à notre dernier souffle. En somme, elle nous incite à saisir chaque opportunité, à poursuivre nos aspirations avec détermination, car l’expérience de la vie ne nous est jamais donnée, elle est forgée à travers nos choix et nos actions.

Eh oui, il y a des leçons qu’on apprend qu’avec l’expérience et l’âge. Je pense tout simplement que la vie enseigne la vie. Plus le temps passe, plus je suis convaincue qu’il y a des choses qui ne s’acquièrent qu’avec l’âge.

Nadia Origo fait un constat sage et profondément vrai. Elle estime que l’expérience et le passage du temps nous offrent des leçons uniques que seule la vie peut nous enseigner. Dès lors, certaines connaissances, perspectives et sagesses ne peuvent être pleinement appréhendées qu’avec le recul du temps et l’accumulation d’expériences variées. En réalité, l’âge, dans ce contexte, apporte souvent une clarté de vision et une profondeur de compréhension qui nous permettent de voir les choses sous un nouvel angle. Par conséquent, les épreuves traversées, les succès remportés, les relations tissées et les échecs surmontés forgent notre caractère et enrichissent notre perception du monde.

Bref, il y a des vérités essentielles et des aspects de la vie qui ne se révèlent pleinement qu’avec le temps. C’est une leçon précieuse que nous apprenons au fil des années : la vie elle-même est notre plus grande enseignante.

Ce qui est assez saisissant, souligne Nadia Origo, c’est de se rendre compte que dans le théâtre complexe de la vie, il arrive parfois que certaines existences se réduisent à un simple rôle, un masque arboré pour attirer des amis ou servir des intérêts purement individualistes. Cependant, au-delà de cette réalité, il est indéniable que notre monde abrite aussi une multitude d’âmes candides, de cœurs généreux qui, malheureusement, sont parfois victimes de leur propre bienveillance. En réalité, ces individus, guidés par leur innocence ou leur altruisme, peuvent se retrouver pris au piège des manipulateurs et des opportunistes, faisant les frais de leur propre bonté d’âme. Leur confiance et leur ouverture d’esprit, loin d’être des faiblesses, deviennent alors des cibles pour ceux qui cherchent à exploiter leur gentillesse à des fins égoïstes.

En effet, selon l’auteure, même dans ce paysage parfois sombre, il est essentiel de reconnaître et de célébrer la pureté de cœur de ces individus, qui continuent d’incarner des valeurs de compassion et d’empathie dans un monde parfois cynique. Leur sacrifice ne doit pas être vain, mais plutôt un rappel de la nécessité de protéger et de préserver la bienveillance et l’intégrité, même face aux défis les plus grands. En fin de compte, c’est cette lumière intérieure qui guide notre humanité vers des horizons de compréhension et d’harmonie.

Je ne sais pas à quel âge, les autres sortent de l’insouciance, surtout relationnelle, parce que moi, j’en suis sortie très tard. Jusqu’au moins à 40 ans, j’avais toujours cru que « tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil » comme dirait l’humoriste franco-marocain, Jamel Debbouze. J’ai longtemps pensé que cette méchanceté que les gens manifestent n’est que le résultat d’une souffrance. Jusqu’à ce que je rencontre une catégorie d’hommes que je n’avais jamais soupçonnée. Ils ont toujours été là, je ne les avais juste jamais identifiés comme tels, sinon le jour où ils ont cru tout saccager dans ma vie. : les nés méchants.

Cette introspection profonde de l’auteure explore le thème de la prise de conscience des réalités relationnelles de la vie. Elle trace son propre cheminement et met en évidence l’évolution de sa perception au fil des ans. L’anecdote initiale, teintée d’humour avec Jamel Debbouze, introduit le sujet de manière légère, mais rapidement le ton se fait sérieux alors qu’elle (l’auteure) partage son expérience personnelle. Alors, le contraste entre l’innocence initiale et la découverte des « nés méchants » résonne puissamment, suscitant à la fois une réaction émotionnelle et une réflexion intellectuelle profonde. Cette réflexion sur la nature humaine, notamment sur le concept des individus « nés méchants », pousse à remettre en question nos propres relations où nous sommes parfois enclins à nous rabaisser au bénéfice d’autrui.

Il faut reconnaître que Nadia Origo fait une rétrospective intéressante. Elle remet en question ses croyances antérieures sur les relations et ouvre à une perspective nuancée sur la complexité des interactions humaines. De ce fait, elle laisse une impression durable de maturité et de sagesse acquise à travers l’expérience. Son récit valide l’idée qu’il est possible, même tardivement, de remettre en question ses perceptions et de progresser dans sa compréhension du monde.

Quadrature, Silence, Ça tourne

J’ai la quarantaine, et aujourd’hui plus qu’hier, j’ai compris que le temps ne nous demande pas d’autorisation, il passe, et nous avec. Il nous parle, mais nous ne l’écoutons pas. Il nous interroge, mais nous sommes souvent hors sujet. Pourquoi donc tant d’orgueil face à la vie quand le temps, un de nos biens les plus précieux, passe sans que nous ayons notre mot à dire ? Nous avons de l’emprise sur tellement de choses, mais sur celle-là, rien.

Quadrature résonne comme une métaphore puissante de la quarantaine qui évoque à la fois une tension, une complexité, voire une contradiction. L’ouvrage capture l’essence même de cette étape charnière, où se mêlent aspirations et défis, espoirs et désillusions. À travers cette exploration, Origo ne se contente pas de dresser un tableau des épreuves de la quarantaine, mais insuffle également une perspective profondément humaniste et féministe, si nécessaire dans le contexte actuel. Sa déclaration, « Je suis une femme, et je suis du côté de la justice », résonne comme un cri de ralliement pour une cause qui transcende les frontières et les genres.

Au fil de la lecture de Quadrature, qui peut être considérée comme autant d’études de cas, se dessine un parcours de maturation et un désir constant d’avancer malgré les obstacles. L’approche plurisectorielle de l’auteure enrichit cette histoire personnelle d’une palette de perspectives nouvelles, entre les hauts et les bas, mais toujours teintées d’innovation et de résilience. Cette ouverture d’esprit constitue en elle-même une méthode, offrant à cet essai, ancré dans l’expérience individuelle, non seulement une valeur esthétique, celle de l’authenticité de l’expérience, mais aussi une empreinte distincte. C’est ainsi que le féminisme, en Afrique et au-delà, peut se construire : sur les fondations solides de la diversité des voix et des expériences, unies dans leur quête commune de justice et d’égalité.

QUADRATURE, CAP SUR LA MANDATURE

Nadia Origo offre, avec Quadrature, une réflexion captivante sur la croissance personnelle et la découverte des réalités souvent complexes des relations humaines. Son ton authentique et sa profondeur émotionnelle en font une lecture enrichissante et stimulante.

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