PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES DE JEAN MOHSEN FAHMY

Celui qui écrit est avant tout un artiste, un créateur de mots et de vies parce qu’il donne du souffle à l’inanimé. Par-delà les frontières fait partie de ces œuvres auxquelles l’auteur redonne sens, une seconde vie. Pourtant, au-delà du fait historique, ce qui fait la spécificité de ce roman, c’est la thématique qui l’encadre, ou plutôt les thématiques qui l’encadrent. L’immigration, la guerre et l’amour entre heurts et bonheurs. Ce roman est aussi une histoire familiale, une famille avec ses us et coutumes qui immigre au Canada.

Tout commence avec le déplacement d’une famille au Canada, un homme qui est parti de l’Italie pour participer à la construction du chemin de fer. Il fonde une famille dont il devient bientôt le pilier, l’ancêtre. Après le chemin de fer, il faut survivre et pour y arriver, il intègre le commerce et finit par devenir propriétaire.

Tu sais Carlotta, je suis arrivé à Montréal il y a déjà très longtemps. Je venais de l’Italie! AH! L’Italie… la bella Italia

C’est ainsi que s’exprime Nono le grand-père de Carlotta, lorsqu’il doit justifier sa présence au Canada. Venu pour la construction du chemin de fer, il n’est jamais retourné dans son pays. Il a choisi le Canada. Auprès de sa petite fille, il joue le rôle d’historien pour imprimer en elle l’histoire de leur émigration vers le Canada, afin qu’elle s’en souvienne. Dans cette transmission, les valeurs ne sont pas laissées de côté. En plus du respect d’autrui, l’une des valeurs essentielles, c’est le travail. Un immigrant doit travailler pour vivre, il doit parfois travailler très dur, plus que les autres, parce qu’il travaille pour la famille. Il y a aussi l’apprentissage de la langue française, précieux outil d’intégration.

Et puis, que dirait la famille de Carlotta en voyant cet inconnu, cet étranger qui venait les déranger au milieu de leur drame?

L’histoire de ce roman donne lieu à des moments authentiques certes, mais on y retrouve aussi une certaine sensibilité derrière la plume de l’auteur. Il y a certainement là, un moment clé de la force d’aimer entre Carlotta et Mario, deux personnes apparemment étrangères, mais au fond fusionnelles. L’amour est présenté comme une force, mais aussi comme une faiblesse parce que le choix semble, à un moment, s’imposer. Le temps de la guerre est un moment crucial et décisif.

Le roman de Fahmy a tout pour conquérir : il y a les Italiens, les Canadiens, il y a une histoire du passé, il y a l’Amérique du Nord, l’univers avec tous ses balbutiements sur le vivre-ensemble, l’amour, les réalités de l’immigration, la famille, la guerre et la fureur de vivre. Bref, il y a un peu de tout pour mettre l’imaginaire au service de la plume. Reste que c’est aussi dans sa réalité de personne immigrante que Fahmy est allé chercher.

Fahmy mêle l’histoire et l’intime avec une habileté et une sensibilité légendaire. Et si la question de la guerre au cœur de ce roman, clairement difficile, c’est bien sûr l’antithèse entre la barbarie guerrière dont toute armée doit être capable — pour se battre et pour survivre — et la finesse, la beauté, la folie et la grandeur de l’amour et à sa manière l’espoir de Carlotta, la volonté de vivre de Mario qui rendent tout ce récit profusément touchant. Si tout chez Fahmy est très concret, personnifié, évident, pragmatique pour ainsi dire, il est important de mentionner qu’il touche des questions de toutes les époques, la vie, la mort, l’amour, les différences, les difficultés. Et il y a dans ce que j’appellerai son besoin de dire l’histoire un authentique questionnement sur l’idée du vivre-ensemble sur une terre d’immigration. Au plus haut de l’histoire, Fahmy rappelle qu’en face des questions de division ou de différence, l’amour aura toujours le dernier mot. Il n’y a de diversité que dans l’amour.

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