Écrivaine, artiste, entrepreneure, éducatrice et féministe, Charline Effah est titulaire d’un Doctorat en Littérature de l’Université Charles de Gaulle de Lille. Nous l’avons rencontrée dans le cadre du mois de la femme pour notre rubrique « Les femmes inspirantes ».
J’ai lu N’Être. Je vous ai aperçu quelques fois sur Facebook, assez discrètement, avec des photos de votre mère ou de deux petites filles (votre fille et votre nièce). Vous parlez aussi de votre grand-mère dans une interview. C’est donc par-là que je voudrais commencer notre causerie : La famille? Quelle place la famille occupe-t-elle dans votre vie? Quelle idée vous faites-vous d’une famille normale? Quels souvenirs gardez-vous de votre famille?
J’ai grandi au sein d’une grande famille dans laquelle plusieurs générations cohabitent depuis toujours. J’ai eu la joie d’être élevée par ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère. La population de ma famille est majoritairement féminine, ce qui fait que de façon naturelle, la femme est une figure imposante et un tantinet autoritaire. Et les hommes (c’est assez drôle) se sont presque éclipsés pour laisser la scène et même une grande partie du pouvoir aux femmes de ma famille. Ils se sont mis en retrait sans s’exclure de la gestion des choses familiales. Bien que leur implication soit plus discrète, les hommes sont toujours sollicités pour les grandes questions, notamment pour trancher sur des sujets sérieux comme le mariage. Mes souvenirs sont ceux d’une famille heureuse, soudée, parfois traversée par des orages, mais qui en ressortait plus forte et plus unie. Et pour moi, une famille normale c’est celle qui sait garder son socle malgré les différences et les individualités qui la composent.
Charline Effah, vous êtes féministe, écrivaine, éducatrice, entrepreneure, mère de famille. Comment arrivez-vous à concilier tous ces costumes?
Je ne me pose pas la question de la conciliation de tous ces costumes. Et d’ailleurs, je n’aime pas trop le terme de costume, car il m’évoque l’image d’un comédien qui jouerait plusieurs rôles sur une même scène. Ces attributs font partie de moi et c’est à travers eux que je trouve mon équilibre. Il ne s’agit pas de rôles que je joue. C’est tout simplement moi.
Quel est votre style Charline? Femme talon aiguille, petite jupe ou femme ballerine jeans ou les deux. Ou un peu de tout?
Je suis plutôt ballerine jeans.
N’Être est un roman puissant. Il dit tout à fait le contraire de son format. Il me fait penser à ces livres de petit format qui, bien souvent ne le sont pas, parce que simplement grand par leur contenu. Je pense à L’Existentialisme est un humanisme de Sartre ou encore au Contrat social de Rousseau. Ce sont des livres d’éternité. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a inspiré ce souffle de liberté existentielle que l’on rencontre entre les lignes de N’Être?
J’ai une âme d’artiste. Je chante, j’écris, j’ai commencé récemment à suivre des cours de guitare. Et ma sensibilité artistique m’a enseigné une chose : quand l’art triche, il ne touche pas. Et pour moi, la meilleure façon d’être authentique en écrivant, c’est de prendre toujours un peu de moi pour parler des histoires de tout le monde. J’ai écouté ma musique intérieure pour écrire N’être. J’ai cherché la corde sensible dans ma vie personnelle qui serait un élément déclencheur autour duquel j’allais écrire le roman par la suite.
Charline Effah, militante féministe. J’ai été un peu surprise de le lire l’autre jour sur votre page. Quelle est votre définition du féminisme? Et qu’entendez-vous par féminisme militant? Pour quoi militez-vous donc? (Pour reprendre la question)
Le Larousse définit le Féminisme comme un « mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société ».
C’est une définition on ne peut plus claire et à laquelle j’adhère complètement. Les choses vues ainsi, je dirai que « Le féminisme est un humanisme ».
Nous sommes nombreux, hommes et femmes, à nous insurger contre les violences faites aux femmes, contre les violations de leurs droits, contre les mariages précoces des jeunes filles… Rien que pour ça, si on part de la définition du Larousse, c’est que nous sommes tous féministes. Là où les choses se gâtent, c’est quand on oublie l’essence première d’une pensée et qu’on s’arrête sur les manifestations azimutées des brûleuses de soutiens-gorge ou des apologistes de la castration. Ce militantisme extrême fait que les vraies questions sont passées sous silence. Et moi, je milite pour l’accès à l’éducation des femmes qui, comme tout le monde le sait, est une arme.
Votre rapport au masculin?
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai grandi dans une famille où les femmes ont toujours été en surnombre. Cela n’a pas influencé mon rapport au masculin, bien au contraire, car j’ai compris très jeune que tant que les rôles sont définis, il n’y a aucune raison que la cohabitation se passe mal. Je sais être à ma place de femme. Je ne revendique pas de porter la culotte, ça m’est égal. J’exige juste le respect de mes droits et de ma personne. Je pense que ce sont des aspirations universelles.
Vos compatriotes gabonais vous estiment beaucoup en tant qu’auteure et femme engagée. Que pensez-vous du statut de la femme en général et de la femme gabonaise en particulier ? Quel effet cela vous fait-il d’être reconnue et estimée par vos pairs ?
Si j’étais un homme, j’épouserais une femme gabonaise. C’est certain. La Gabonaise me séduit, car autant elle peut se montrer douce et docile, autant elle est foncièrement libre. Elle a vite acquis son indépendance financière et elle s’affirme sans tapages. Sa posture actuelle est à l’image de nombreuses femmes dans le monde même si dans plusieurs pays, il y a encore du travail à faire au niveau de l’accès à l’éducation pour les jeunes filles.
La famille littéraire gabonaise est assez soudée. C’est une chose que j’apprécie énormément et je pense que, vu la jeunesse de notre littérature, l’une de nos forces réside dans cette fraternité que nous avons intérêt à entretenir.
Je vous définis comme Entrepreneure, mais je vois en vous une éducatrice aussi. J’imagine que si le seul souci était le lucre, vous auriez pu vous lancer dans autre chose, comme ouvrir une boutique par exemple. Cependant vous avez choisi d’œuvrer dans le domaine éducatif et social, d’aider en quelque sorte les jeunes, mais aussi les femmes plus âgées à donner un sens à leur vie.
C’est joliment me définir en me voyant comme une éducatrice. J’ai travaillé dans un Institut de formation qui accueillait majoritairement des femmes issues de l’immigration. Vous savez, sur les terres hexagonales, il y a comme un parcours professionnel de l’immigré qui est tout tracé. On sait dans quels genres de métiers on veut retrouver les mêmes personnes sans se demander si elles ont des rêves, sans écouter leurs histoires personnelles.
Quand avez-vous ressenti le besoin de rajouter cette corde à votre arc?
Je me souviens d’une femme d’origine algérienne qui était Kinésithérapeute dans son pays et, en arrivant en France, elle a multiplié les petits boulots pour vivre pendant des années. Elle était touchée dans son amour-propre, elle a pleuré devant moi, elle m’a dit : Charline, j’avais un cabinet de Kinésithérapeute à Alger. J’avais des salariés, deux associés et je gagnais bien ma vie. Aujourd’hui, je suis réduite à faire du baby-sitting. J’aimerais faire autre chose, car j’ai honte de ce que je suis devenue ». Elle m’a demandé de l’aider à sortir de cette situation professionnelle peu épanouissante pour elle. D’autres témoignages de ce genre se sont ajoutés. Entre-temps, j’ai démissionné de l’Institut de formation en question, car je voulais me consacrer à l’écriture de mon prochain roman. Mais cette femme m’a recontactée pour me demander si j’étais prête à l’accompagner dans son projet d’évolution professionnelle. J’ai, bien entendu, accepté de la revoir et ensemble nous avons travaillé pour la validation de ses acquis. Et comme les résultats étaient positifs et motivants pour elle, elle en a parlé à deux autres de ses amies, qui ensuite en ont parlé à d’autres. Je suis passée de cinq à deux cents demandes.
Pouvez-vous nous parler de l’Institut Diadème? De ce qu’on y réalise? De vos joies, de votre manière, à vous, de mettre en confiance les personnes qui viennent vous rencontrer.
Face à cette floraison de demandes, il était donc urgent que je donne un cadre légal à cette activité. J’ai donc créé l’institut Diadème. Pour mettre ces personnes en confiance, je vais comprendre leur histoire personnelle, leur parcours et surtout leurs rêves et ambitions. Je leur explique ce qui est réalisable à moyen et à long terme. Ce qu’il faut, c’est être honnête, ne pas leur vendre des chimères, car certaines sont déjà assez désillusionnées. Il ne faut pas non plus les mettre dans des cases.
La vision de l’Institut (dans l’espace et dans le temps).
La vision de l’institut Diadème est de les accompagner sur plusieurs années de sorte de travailler par étapes leurs projets.
Dans le contexte de votre engagement, peut-on parler d’entrepreuneriat social?
Je pense que oui.
Dans sa note sur votre roman, Alain Mabanckou a parlé de Mariama Bâ. Je n’ai pas encore lu toutes vos œuvres, mais je ne douterais point de la virilité féminine visible et tantôt invisible qu’il y a en vous. Alors, quelles sont les cinq femmes qui vous ont le plus influencés, en dehors des membres de votre famille? En quoi vous ont-elles influencées?
Elles sont nombreuses les femmes qui m’ont influencée et les femmes qui m’influencent encore. Mais dans un cadre strictement littéraire, il y a Ananda Devi que je recommande à toute jeune femme écrivaine de lire au même titre que Mariama Bâ, car ce serait vraiment passer à côté d’un monument littéraire. Ananda Devi est de ces auteurs qui ont un univers. Calixthe Beyala. Elle a un style vif, vivant, saisissant en parfait accord avec sa personnalité. Honorine NGou, écrivaine gabonaise. Elle a été mon enseignante à la Faculté des Lettres modernes de Libreville. Elle écrit de bons textes. Même si elle n’est pas très connue en France, au Gabon elle jouit d’une estime et d’une notoriété indéniables.
Où situez-vous votre féminité ? Qu’entendez-vous par féministe assumée?
Féministe assumée, car à l’heure des débordements et des polémiques autour de cette question, quelques voix se taisent, de peur d’être taxée de « tête en l’air » de « femme frustrée » et de bien d’autres attributs qui dévoilent les interférences au sein de la cause féministe.
Aujourd’hui, pour demain, que vous suggère votre engagement féministe?
J’espère avoir assez d’énergie et de temps pour monter une association qui aiderait à favoriser la scolarisation des jeunes filles en Afrique.
Pour le mot de la fin, je vous suggère de dire en quelques mots à nos lectrices et lecteurs, le lien que vous faites entre féminisme et liberté : Jusqu’où le féminisme?
Féminisme et liberté pour évoquer le combat des suffragettes qui obtinrent le droit de vote pour les femmes en 1918. Féminisme et liberté pour évoquer qu’il y a seulement cinquante ans que les femmes eurent l’autorisation de travailler sans accord de leurs maris. Féminisme et liberté pour dire que le monde n’est pas juste. Les rapports entre hommes et femmes ont souvent souffert de cette injustice et la liberté est une aspiration inhérente à tout être humain. Il ne faut pas avoir honte de revendiquer ses droits. Il faut juste veiller que ces revendications soient intelligentes pour qu’elles soient mieux comprises.
Propos recueillis par Nathasha Pemba, 7 mars 2017.