À la rencontre de Louenas Hassani

« L’Autre est essentiel dans l’accomplissement de soi. »

Louenas Assani, Photo fournie pa l'auteur
Louenas Assani, Photo fournie pa l’auteur

Bonjour Louenas, comment vas-tu !

Disons que contrairement à bien du monde sur cette planète, je n’ai pas trop à me plaindre. Je vis dans un pays où parler ne mène pas en prison, où écrire est un acte citoyen comme tant d’autres, où manger à sa faim et avoir un toit sous sur sa tête n’est pas un luxe. Franchement, il serait indécent de me plaindre quand je sais que près de 40% des êtres humains n’ont pas l’eau potable à la maison et des millions d’hommes et de femmes vivent avec la peur obsessionnelle et paralysante de la bombe qui peut arriver à tout instant et décimer tout ce qu’ils ont de plus cher au monde. 

Dès les premières lignes de ton roman, on est saisi par quelque chose  : une violence inouïe. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une circoncision qui se pratiquait dans un cadre illégal. Plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait d’un innocent qui avait volé parce qu’il avait faim. Cet innocent était face à la barbarie des adultes qui s’étaient approprié la justice divine.

« Hein, mon fils, tu sais pourquoi on te la coupe ? »

Oui, tu as tout à fait raison. Au fond qu’est-ce que la dictature, qu’elle soit céleste ou terrestre, si ce n’est de spolier l’humanité de son innocence. Et il n’y a pas mieux pour incarner cette déshumanisation que de mettre l’enfance à l’épicentre du drame. Affamé, le chérubin ne faisait que se débrouiller pour avoir quelque chose à se mettre sous la dent. Mais voilà qu’il est pris la main dans le sac et que son geste attente à quelque chose de plus complexe, à une violence paroxysmique faite d’État ou de Dieu et qui au fond n’a rien d’humain  : la barbarie au nom du ciel. Le garçon est désarmé, n’a personne pour le soutenir, d’autant plus qu’il est un enfant illégitime aux yeux de la République.

Pour ainsi dire, il n’a que son innocence comme arme ultime contre la folie humaine faite divine  : il croyait naïvement que sa main repoussera; comme les dents qu’il perdait et qu’il jetait du côté du soleil pour qu’elles repoussent, il pensait que les mains repoussaient aussi. Cependant, au-delà de tout ça, j’ai commencé le roman ainsi pour faire se heurter la barbarie et l’innocence afin de dire l’urgence de déconstruire les discours haineux à l’instar de l’islam politique et tous ces discours populistes xénophobes, misogynes, phallocrates, négationnistes qui ont le vent en poupe partout au monde, et ce au nom d’une religion, d’une idéologie, d’une identité… 

Pourquoi écris-tu ? Pourquoi La République de l’abîme ?

Je pense qu’il est difficile d’objectiver toutes les raisons qui mènent à l’écriture. On écrit parce qu’il le faut, comme on écrit parce qu’on est passé un moment de la lecture à l’écrit; on écrit parce qu’on a des choses à dire, on écrit comme on peint, comme on fait de la poterie, comme on chante. L’un des outils les plus puissants grâce auxquels l’homme a dompté la nature et l’a soumise sauvagement à son bon vouloir est son accès au langage pour qu’il ait la capacité d’inventer ou de faire des fictions.

L’être humain a inventé l’agriculture, la nation, l’État, l’idéologie, les religions, les droits de l’homme, etc., si bien qu’aujourd’hui l’humanité est dans une certaine mesure est une communauté composée de 7 milliards d’êtres humains qui ont plus au moins un idéal commun. Ça n’aurait pas été possible sans la fiction. Le livre magnifique sur le sujet, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, de l’historien Yuval Noah Harari, est éclairant sur la question. Et La république de l’abîme dans ce sens a juste la petite prétention de dire le monde vu d’un homme de culture musulmane; un monde ouvert, interculturel, multiple, égalitariste, laïc et séculier, où tout être humain y a droit, une terre rêvée par les miens autrement que des lorgnettes biaisées de tous ces idéologues de part et d’autre dont les tenants de l’islam politique d’un côté et les orientalistes, populistes et adeptes des chocs des civilisations de l’autre. J’ai voulu dire que notre espace a produit de grandes civilisations comme la civilisation berbère ou la civilisation arabo-musulmane.

Qu’est-ce que l’humanisme selon toi ? 

Depuis que j’ai découvert Levinas, j’ai de la difficulté à imaginer le monde autrement qu’une responsabilité des uns envers les autres, autrement qu’une interculturalité qui laisse une grande place à l’Autre. Parce que sans l’Autre, sans le multiple, la vie ne vaudrait même pas la peine d’être vécue. On écrit pour l’Autre, on réussit pour l’Autre, on se surpasse par rapport à l’Autre. C’est l’Autre qui puise dans le meilleur en nous; sans l’Autre à quoi bon d’avoir une belle maison, de composer une belle chanson, de peindre un chef-d’œuvre, de s’habiller bien pour attirer, de se passionner pour quelque chose.

Regardez par exemple le don ! L’une des questions que se sont posées les philosophes est la suivante  : est-ce que le don pour le don existe ? C’est-à-dire donner sans aucune contrepartie, sans vouloir en tirer un quelconque profit. Eh bien, non, le don n’existe pas. On donne parce qu’on veut avoir une récompense ici ou dans l’au-delà, on donne parce qu’on veut une satisfaction personnelle… l’Autre est essentiel dans l’accomplissement de soi.

Penses-tu que les idéologies meurtrières finiront un jour ?

Personne ne peut répondre à cette question scientifiquement. On ne peut répondre qu’à la lumière de ce qu’on a vécu jusque-là. Est-ce suffisant ? Personne ne le sait. Cela dit, je puis dire humblement que le pire comme le meilleur fait partie aussi de nous. Et les idéologies exclusives qui ne laissent pas de place à l’altérité existeront toujours. Elles sont un peu comme nos colères, sauf qu’elles sont plus argumentées, plus rationalisées. On les habille de livres, de littérature, de nationalisme, d’un peu de rationalité. D’ailleurs, ces idées ne sont pas l’apanage d’une couche sociale au détriment d’une autre, d’une société au détriment d’une autre. Le monde dit musulman des années 70 était fermé politiquement, l’idéologie du panarabisme était terrifiante, empêchait et réprimait la moindre manifestation cultuelle ou revendication qui ne se dit pas arabe.

Cependant, socialement, la plupart de ces États étaient plus ouverts; il n’y avait pas une femme voilée à la manière d’aujourd’hui dans les grandes villes; le cinéma osait aller dans des espaces aujourd’hui impossibles à cause de la censure aussi bien officielle que sociale. Comment cela s’était passé ? L’islam politique a construit sur les décombres des États-nations violents qui n’ont pas réussi à transformer pour la plupart d’entre eux leur libération du colonialisme en prospérité. Les idéologies comme l’islamisme ont la capacité de réunir les masses, de construire un système rationnel bâti sur la mémoire victimaire, de détourner par exemple la cause palestinienne et d’en faire un cheval de Troie pour conquérir les âmes.

Cependant, les idéologies meurtrières produisent des idéologies aussi meurtrières. Regardez par exemple le cas de la colonisation de la Palestine. J’ai traité cette question dans La coureuse des vents, notamment à travers l’amitié de l’historien israélien Schlomo Sand et de l’immense poète palestinien Mahmoud Darwich. Les progressistes palestiniens sont les victimes des islamistes et les Israéliens sont les victimes de l’extrême droite au pouvoir. Deux idéologies qui éloignent chaque jour un peu plus la possibilité de deux États vivant côte à côte. Et quand tu rajoutes à la ratatouille un président américain fanatique, eh bien, c’est la totale ! 

Quelle action, selon toi, peut changer le monde ?

*Les manifestations ou bien l’écriture ?

J’ai répondu à une question similaire posée par une journaliste pendant une table ronde autour de ces questions  : est-ce que la littérature ou l’écriture change le monde ? Elle ne change pas le monde, elle change des personnes, avais-je répondu. Si les utopies reculent de plus en plus dans le monde, c’est parce qu’aussi la place des livres recule, l’enseignement des humanités recule. La philosophie, l’anthropologie, la sociologie, les humanités en général sont des outils qui font réfléchir.

Le retour du religieux dans l’espace public est dû notamment au recul de la philosophie et de toutes ces sciences qui questionnent, remettent en cause, cherchent du côté de la raison. Alors pour changer le monde, il n’y a rien de plus puissant que l’école qui forme le citoyen de demain, en lui apprenant à raisonner par le biais de la philosophie, de la raison et en éduquant ses goûts par la littérature et les arts. Par ailleurs, changer notre rapport à la nature est urgent et est inéluctable  : nous devons désormais éduquer l’humanité à se penser comme un élément de la nature et non comme une espèce supérieure, autrement dit nous devons repenser notre manière d’être, de consommer, d’habiter, etc.  

Existe-t-il une ou des civilisations ?

Je réponds par les outils qui me sont donnés. Je ne suis pas un spécialiste des civilisations, je n’en ai aucunement la prétention. Mais de ce que j’ai lu et de ce que je connais, je peux dire que ce que nous vivons aujourd’hui avec tous les outils produits par toutes les civilisations que nous connaissons ou pas est la somme de toutes ces civilisations additionnées. Les civilisations précolombienne (Aztèque, Maya, Inca, etc.), chinoise, berbère, arabo-musulmane, romaine, grecque, égyptienne, africaine, amérindienne, ont toutes apporté quelque chose de plus à l’humanité. Quand des gens arguent sur le choc des civilisations, il faut s’entendre d’abord sur ce qu’est la civilisation. Un penseur comme Averroès, j’ai envie de dire, serait davantage chez lui en Occident aujourd’hui qu’un fanatique occidental né en Occident.

Je veux dire que ce sont les extrémismes qui s’entrechoquent. On raconte que des traducteurs d’Averroès ont été pendus en Europe du Moyen-Âge. Par qui ? Par les fanatiques d’alors ? Pareillement, Averroès, à Cordoue, était traqué et menacé par les fanatiques musulmans de l’époque. Mais de mon point de vue, la civilisation arabo-musulmane était d’abord incarnée par Averroès et non par les fanatiques de l’époque; et du côté occidental, elle était incarnée par le traducteur qui posait l’une des premières briques pour sortir l’Europe de l’obscurantisme. Autrement dit, les civilisations se complètent, par contre les extrémismes s’entrechoquent.

Comment une pensée peut-elle résister face à une dictature ?

C’est l’un des thèmes centraux de La république de l’abîme. Les mythes traversent l’espace théocratique et résistent, les livres et la mémoire se transmettent, les arts font leur chemin dans la clandestinité, les amours interdits, les contes, l’argile, la musique, etc. Dans le roman, il y a un conteur quasi-mythique qui reconstruit l’allégorie sur la vérité de Nathan le sage; il y a un Noé qui sauve non pas les espèces, mais la musique; les gens cachent les livres comme des armes; les poètes sont pendus.

Je me suis appuyé sur des images comme celles-là pour dire aussi que rien ne peut uniformiser la nature, son essence même est la diversité, la multiplicité, les innombrables possibles. La trame romanesque de La république de l’abîme va dans les tréfonds même des idéologues, des califes, des êtres que les gens croient insubmersibles, pour les faire découvrir, dire qu’ils sont avant tout, comme nous, comme n’importe qui, des êtres fragiles, qui ont des forces et des faiblesses, et qui sont eux aussi des victimes de l’idéologie qu’ils croient parfois sincèrement venue de Dieu.

Le processus de l’uniformisation de l’humanité est aussi bien simple que complexe. Prenons par exemple un grand écrivain allemand comme Günter Grass, prix Nobel de littérature en 1999. Je prends cet exemple pour simplement dire que l’être humain se complait avec n’importe quel système. Günter Grass a vécu dans la dictature du nazisme, il a raconté même qu’il a fait partie à une époque des SS; il a vécu dans l’époque de deux Allemagne, ensuite dans l’Allemagne unifiée que nous connaissons aujourd’hui… C’est dire que la dictature n’est pas l’apanage de certaines sociétés. La dictature peut arriver à n’importe qui. Ça commence par des idées haineuses banalisées et ça se termine par un État monstrueux. Et l’être humain s’adapte à n’importe quel système.

Alors comme toute chose, la vie essaye de se frayer d’autres chemins. Je me souviens d’une expérience scientifique au secondaire, dans le cours de sciences naturelles, à Aokas, mon village en basse Kabylie. On avait planté un plant et on l’avait couvert d’un carton que l’on avait troué de côté, de sorte que la plante ne pouvait avoir accès à la lumière qu’à travers ce trou. Eh bien, la plante a poussé en formant un angle pour se diriger vers la lumière. La pensée est comme la plante; elle pousse dans le désastre aussi. 

Ton dernier roman m’a paru mythique, légendaire, on dirait un conte philosophique. Comme je dis souvent, il faut beaucoup de concentration pour entrer dans ton écriture. Quelle est la place de la mythologie dans ton écriture ?

Oui, j’habite au-dessus de la mer qui a produit l’essentiel de la mythologie à laquelle se réfère l’humanité aujourd’hui. On rajoute à cela une berbérité qui se transmet essentiellement par l’oralité, notamment à travers le conte des veillées nocturnes, eh bien, on obtient une écriture qui est à la lisière en effet du mythe et de la réalité. J’ai voulu que le roman soit ainsi pour déconstruire beaucoup de mythes justement en leur opposant d’autres mythes, d’autres légendes. Quant à la philosophie, oui, j’en suis un inconditionnel. Pour moi, la philosophie est l’un des antidotes les plus puissants contre la tyrannie des idéologies nationalistes, religieuses, ethniques, raciales, etc. Entre le mythe et la philosophie, je crois que c’est ici que se situe l’homme  : le tiraillement entre le cœur et la raison.

Le choc des civilisations, la tolérance, la religion, les dictatures, la colonisation, l’islam politique, autant de questions que l’on retrouve dans ta plume. Des questions assez ambiguës. Peux-tu nous en toucher un mot ?

Je me réfère souvent à Nathan le Sage de Lesssing qui a relativisé magistralement la question de la vérité. C’est une œuvre de tolérance; bien mieux, c’est une œuvre qui dépasse la tolérance pour aller un peu et déjà du côté de l’altérité. J’ai écrit La république de l’abîme avant Soumission de Michel Houellebecq et 2084, La fin du monde, de Boualem Sansal. Contrairement aux deux romans, le mien n’essentialise pas, il est anti-essentialiste et anti-orientaliste, dans la mesure qu’il déconstruit justement la théorie du choc des civilisations de Huntington à sa manière en disant que l’égalité, la démocratie, la laïcité ne sont pas des valeurs occidentales, mais plutôt humaines et universelles et pour cause, des penseurs de tous bords, musulmans ou non, ont déjà pensé ou posé ne serait-ce que des petites briques de ce que nous considérons aujourd’hui comme des valeurs universelles. Ces sujets me tiennent à cœur parce que je crois, peut-être un peu naïvement, qu’il en faut peu pour que l’humanité s’entende, si tant est que l’on déconstruise l’argumentaire spécieux et fallacieux des idéologies meurtrières comme l’islam politique, l’extrême droite…   

Akal, le personnage principal de ton roman incarne probablement un combat ou un désir. Lequel ?

Akal incarne l’utopie, le rêve que la jeunesse croit pouvoir porter sur ses épaules avant de se heurter à l’implacable vérité du réel et de sa tragédie. J’aime bien une citation de Khalil Gibran  : le désir est la moitié de la vie, l’indifférence est la moitié de la mort. Et Akal est un homme qui va au bout de ses idées. Les livres, les rencontres, l’amour, l’amitié, les contes, la famille, bref, une certaine humanité l’a préservé du déluge idéologique caractéristique qui a frappé le pays et qui a transformé tant de peuples en des réceptacles passifs du pamphlet et de l’oraison. En même temps, je veux dire que les révolutions telles que racontées par les poètes n’existent pas. Il y a un tas de raisons qui ont poussé Akal à la révolte.

Son parcours achèvera de le convaincre de la nécessité de la guerre, pourtant son expérience le convaincra finalement que les guerriers ne construisent pas généralement la paix. C’est le paradoxe de l’humanité. Je dirais qu’Akal rêve d’être un homme à part entière; il considère que l’homme sans sa liberté, sans son droit d’être ce qu’il veut, sans qu’il soit considéré majeur par l’État où il vit n’est pas foutu d’être un être humain à part entière s’il n’essaye pas de changer son espace, s’il n’essaye pas de faire tomber une dictature pour qui les peuples sont des mineurs à vie qui ne peuvent avoir une pensée autonome.  

En France, c’est parti d’un hashtag #balance ton porc et ici au Québec, on parle de #Moi aussi. Toutes ces agressions expriment un mal-être qui ne dit pas son nom, que penses-tu de la situation de la femme dans le monde ? Penses-tu qu’elle a encore une raison de se battre ? Quel type d’égalité faut-il, selon toi, pour que la situation de la femme s’améliore ?

Je dirais plus que jamais; son combat et ses aspirations sont l’essence même de notre vivre-ensemble. Le retour du religieux dans l’espace public et son mariage avec le capital et le consumérisme en font un être que bien des hommes n’arrivent pas à imaginer autrement que soumises sexuellement. Cette vague planétaire est salvatrice; elle remet les pendules à l’heure. Ces gens qui se croient tout permis parce qu’ils sont puissants ne peuvent plus se permettre l’innommable. Je ne me trompe pas cependant, ce qui se passe actuellement est la preuve que l’humanité culturellement n’a pas fait un si grand chemin depuis Homo Sapiens.

La culture on dirait bat en retraite encore devant la nature de l’instinct animal et bestial. Na Tachamlalt est un peu la féministe de La république de l’abîme; elle dit un certain moment ceci  : « C’est le fanatique qui décrète les fatwas qui nous dimi­nuent; c’est lui, lui seulement, qui à la place des tombes du cimetière a inventé la tombe du tissu; c’est lui ma fille qui a forgé et rationalisé les morales qui font de nous une sous-espèce humaine; c’est lui, seulement lui, qui légifère, pour des consti­tutions qui coupent nos ardeurs. Vois-tu, ma fille, comment ils rattachent notre voix, notre corps, notre marche, notre odeur à Iblis, à l’apocalypse, à la colère du ciel ! N’est-ce pas la preuve que ce sont eux qui ont construit des religions qui n’ont rien à voir avec Dieu ?…» Et elle lui dit quelque chose comme ceci  : si tu penses ma fille que c’est l’homme qui va te chercher tes droits, c’est tu n’en as rien compris !    

Chaque fois que je te lis, je pense toujours à ton compatriote Kamel Daoud. En dehors de votre origine commune, je sais que vous ne partagez pas la même religion. Je peux peut-être me tromper, mais j’ai l’impression que vous menez le même combat. Est-ce que je me trompe ?

Oui, je le crois aussi. Cela dit, nous partageons la même culture musulmane. Je ne suis pas religieux, mais je suis un peu de la religion ouverte de ma mère et de mon père. Je considère que dans la religion, musulmane, chrétienne, juive, bouddhiste, etc., il y a le miel que l’on peut prendre, et il y a le fiel qui est dangereux pour le vivre-ensemble. La foi est le questionnement devant les espaces infinis; elle est interrogative; elle pose la question du doute, et la foi a accompagné l’homme depuis presque toujours, mais à partir du moment qu’elle quitte son espace intérieur pour s’approprier l’espace public elle devient une idéologie dangereuse qui veut uniformiser le vivant, abolir l’individu par une communauté qui cesse d’être citoyenne pour n’être que croyante.

À la fin de cette entrevue, j’ai envie de te poser une question  : qu’est-ce que la vie selon Louenas Hassani ?

Je te répondrai comme peut te répondre n’importe quel individu  : la vie est une chance qu’il faut saisir à chaque instant, que l’on essaye de magnifier par l’art, les livres, les histoires, les discussions, etc. Ce sont ces rires, ces pleurs, ces grandeurs et ces misères qui nous rappellent constamment à notre condition d’être grandioses dans leur manière d’habiter l’espace-temps, mais d’être insignifiants sur l’échelle cosmologique. La vie c’est aussi sa pluralité; l’imaginaire qui nous fait voir au-delà des êtres et des choses; le sourire grâce auquel on conquiert l’être cher, le coup d’œil qui échographie le paysage pour que vibre l’être intérieur, la rencontre qui outrepasse la géographie, l’origine, la religion, la vie c’est la conscience que les cœurs de milliards d’êtres humains battent au fond pour les mêmes idéaux  : le meilleur pour nos enfants, pour le proche et le lointain.

Je tiens enfin à te dire merci. Merci pour ces questions franches et qui obligent la réflexion.

Propos recueillis par Nathasha Pemba, 18 décembre 2017.


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