No home de Yaa Gyasi : « nous sommes le rêve de tous nos ancêtres »

Il existe plusieurs formes de romans parmi lesquelles figure le roman historique. Sa particularité réside dans le fait que son auteur emprunte à la fois au réel et au fictif, pour créer une œuvre de fiction réaliste et détonante. En 2016, l’autrice américaine d’origine ghanéenne, Yaa Gyasi, âgée de 26 ans, a fait une entrée remarquée en littérature, avec son roman historique Homegoing (No home pour la traduction française parue aux Éditions Calmann Lévy en 2017). C’est au retour d’un séjour marquant au Ghana durant l’été 2009 qu’elle débutera l’écriture de ce premier roman. J’ai choisi de vous en parler, car c’est une lecture qui m’a profondément touchée.

Le roman débute au XVIIIe siècle en Afrique occidentale, dans un territoire correspondant à l’actuel Ghana. Maama, après s’être enfuie de chez Cobbe, son maître Fanti, en lui abandonnant leur fille Effia, a épousé Grand Homme Asare, un Ashanti avec lequel elle a eu une autre fille prénommée Esi. Plus tard, Effia sera mariée à un Anglais, capitaine du Fort de Cape Coast. Elle mènera une vie confortable, au-dessus des cachots regroupant les captifs victimes du commerce triangulaire. Sa sœur Esi sera emprisonnée dans ces mêmes cachots, après avoir été raflée dans son village natal. Elle sera ensuite expédiée en Amérique comme tant d’autres avant elle. 

Le roman retrace l’histoire des lignées familiales des deux sœurs, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Chacun des quinze chapitres est consacré à un descendant de l’une des deux sœurs, que nous voyons se débattre avec son tragique destin. Du côté américain, les premiers descendants d’Esi sont esclavagisés et dépérissent dans les champs de coton. Les suivants subissent les travaux forcés, puis la ségrégation raciale. Les descendants suivants subissent la violence économique et socio-structurelle, la violence policière et le racisme. Du côté africain, les premiers descendants d’Effia doivent survivre, dans un système où les guerres tribales et le métissage entretiennent la traite des esclaves, initiée par les Portugais à la fin du XVe siècle. Les descendants suivants subissent la guerre de résistance contre les Anglais. Les autres descendants subissent la colonisation et ensuite la néo-colonisation.

À travers l’histoire de cette famille Fanti et Ashanti, c’est véritablement trois siècles d’histoire des Africains du continent et des Afro-Américains qui se déroulent sous nos yeux. L’œuvre de Yaa Gyasi est enracinée dans la réalité historique qu’elle a consciencieusement reconstruite pour ses lecteurs, de manière quasiment journalistique. Son projet, très ambitieux, a nécessité sept ans de recherches et de travail narratif ; le résultat est absolument magistral.

Ce roman polyphonique se révèle d’une rare intensité émotionnelle. À mon avis, il a une portée que nous ne pouvons pas encore mesurer pleinement aujourd’hui. Notamment sur la question du poids de nos mémoires. Ce texte nous rappelle que nous ne mesurons pas assez l’importance de notre mémoire transgénérationnelle. Les traumatismes subis par nos ancêtres, plus ou moins lointains, ont forcément un impact dans nos vies. Par conséquent, ces traumatismes doivent être reconnus puis un véritable travail de guérison doit être entrepris.

Nombreux sont ceux qui exhortent sans cesse les Africains et les Afro-descendants à l’oubli de toutes les violences que leurs ancêtres ont subies, comme une condition d’un meilleur vivre ensemble. Yaa Gyasi semble au contraire encourager chacun, à dérouler le fil de sa propre histoire familiale. Avant cela, je vous encourage tous, à découvrir son magnifique roman.

Ayaba

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