Philippe Bonvin : Haïkus du confinement

Philippe Bonvin : «À l’annonce du confinement, sachant que la période qui s’ouvrait serait inédite et particulière, j’ai décidé de tenir un journal intime poétique. Le journal intime permet de retranscrire sur le papier, sans aucune retenue ni censure, ses états d’esprit. Il offre également un espace d’introspection» Le nouveau recueil de Philippe Bonvin nous plonge au cœur du confinement et nous projette vers l'avenir.

Haïkus du confinement fait référence à la Covid-19, au délitement du lien social, au vide, mais aussi à l’après-confinement. Pourquoi avoir choisi cette thématique ? Pourquoi avoir choisi le haïku pour dire cette expérience ?

À l’annonce du confinement, sachant que la période qui s’ouvrait serait inédite et particulière, j’ai décidé de tenir un journal intime poétique. Le journal intime permet de retranscrire sur le papier, sans aucune retenue ni censure, ses états d’esprit. Il offre également un espace d’introspection.

La forme brève du haïku qui, en quelques mots, va à l’essentiel m’est apparue comme un excellent moyen de transcrire cette période d’enfermement involontaire, de repli du monde, mais aussi mes pensées, mes peurs ou mes attentes.

Quant aux références qui apparaissent (au délitement du lien social, au vide, à l’après-confinement), ces thèmes ont surgi d’eux-mêmes, au fil des jours et du travail d’écriture, mon but étant de montrer mon quotidien et l’impact du confinement sur mes pensées, mon quotidien.

J’imagine que la Covid-19 ou plutôt le confinement a été ta plus grande source d’inspiration dans la rédaction de ce recueil. Alors, quel en a été le processus d’écriture ? Y avait-il des moments de doute ou de peur ?

L’écriture est un acte solitaire qui, dans son processus de création (que je distingue du travail de correction), me permet de m’évader et de poser mon regard ou ma perception du monde sur le papier (mon précédent recueil poétique intitulé Rwanda se concentre sur la période sombre du génocide).

Quotidiennement, dans une sorte de gymnastique intellectuelle, mais aussi de jeu, j’écrivais quelques mots ou phrases, construisant des haïkus. M’installer à mon bureau, au calme, me permettait, malgré l’enfermement du confinement, de rester en lien avec le monde extérieur et les préoccupations liées à la Covid-19. Ces moments d’écriture, entre la page blanche et moi, sont vite devenus des instants particuliers, salvateurs.

J’ai vécu la période du confinement comme une succession de doutes, de peurs, de questionnements face à cette pandémie et à la situation sanitaire mondiale. Les informations provenant des médias résonnaient en moi de manière anxiogène, avec par exemple le décompte quotidien des personnes infectées, hospitalisées ou malheureusement décédées. Toutes ces informations tournant en boucle m’agressaient de plus en plus. L’écriture me permettait de prendre de la distance face aux flots d’informations relayés par les journalistes et les nombreux spécialistes qui dressaient un tableau bien sombre dont je désirais m’échapper.

En tant que poète, comment t’es-tu imaginé l’après-confinement ? Il me semble que ce recueil est venu au bout de quelque chose ; tu as utilisé le haïku pour faire le tour de l’humain en contexte de réclusion forcée,

Plongé dans cette période de confinement, presque à bout de souffle, en apnée, j’ai eu beaucoup de peine à imaginer l’après-confinement. Le plus important était de pouvoir sortir de cette réclusion forcée (je parle de prisonnier dans un haïku) afin de retrouver une vie « normale » et des libertés.

Voyant la nature reprendre ses droits, des dauphins nager dans le port de Venise, la qualité de l’air s’améliorer, pour ne prendre que quelques exemples, j’ai espéré une prise de conscience globale et forte, permettant à chacun de se positionner différemment face à son rapport à la consommation, aux ressources naturelles que nous pillons et à une fuite en avant dont la vitesse ne cesse de s’accroitre. Mais je dois avouer que je me suis trompé.

Proche de chez moi, de nombreuses initiatives de maraîchers ou de cultivateurs ont proposé la confection de paniers, livrés à domicile, afin de créer des circuits courts entre les producteurs et les consommateurs. De nombreuses personnes ont été séduites par ces initiatives, rapidement oubliées à la fin du confinement, reprenant le chemin des grandes surfaces qui n’offrent pas toujours la traçabilité de l’origine des denrées.

Sans développer une vision idyllique de l’après-confinement, j’ai espéré un changement profond de la société qui ne s’est malheureusement pas réalisé. Je crois, par contre, que chacun a eu un plaisir intense à retrouver un lien social, physique et direct et non pas par écrans interposés, à vivre ensemble des émotions particulières, dans des salles de concert ou de théâtre, mais aussi simplement dans les restaurants ou les bars. J’espère que la société occidentale est devenue un peu moins individualiste.

En quoi l’écriture peut-elle être un catalyseur des relations humaines, à la reconstruction de soi et au développement des possibles ?

L’écriture permet à l’écrivain de plonger en lui-même, sans retenue ni tabou, d’autant plus dans le cadre d’un journal intime ou d’un travail poétique, abordant toutes les facettes de sa personnalité, de la lumière ou l’obscurité, et du monde qui l’entoure. J’ai abordé cette plongée comme une chance de retranscrire mes états d’esprit dans cette situation de confinement qui poussait chacun dans ses retranchements.

En réfléchissant au monde qui l’entoure, en acceptant de dévoiler ses états d’âme et en dévoilant une forme d’intimité, l’écrivain propose une réflexion sur lui-même, mais aussi sur les autres, sur chacun d’entre nous, ouvrant ainsi, obligatoirement, des perspectives qui ne seraient peut-être pas apparues sans ce contexte.

Outre ce processus d’écriture, lorsque le livre physique paraît, cette réflexion qui peut sembler nombriliste pour certains éclate au monde. La perception de l’écrivain se confronte aux pensées des lecteurs dans un échange qui permet à chacun d’évoluer, de progresser dans ses recherches personnelles. Le travail solitaire devient partage.

Comment as-tu découvert le haïku ?

Il y a déjà longtemps, je me suis intéressé à la littérature japonaise (Mishima, Taniguchi, Kawabata, Ogawa, Shimazaki, …) découvrant, avec plaisir, une manière différente d’écrire, d’aborder le monde, mais surtout de décrire les sentiments. C’est dans ce prolongement que je me suis plongé dans la lecture de haïkus de Basho, Buson, Issa ou Takuboku que j’apprécie particulièrement et dont les écrits sont au centre d’un de mes manuscrits « Fumées ».

J’ai immédiatement été séduit par cette forme brève, très codifiée tant du point de vue métrique que des thématiques abordées (les saisons par exemple). Mais avant cet ouvrage, je ne m’étais jamais vraiment essayé à cette forme poétique.

Lorsqu’on parle de poésie, on a souvent tendance à penser à la rêverie, à l’émotionnel, au sentiment… Bref, parfois les poètes sont traités de personnes hors du réel. Quel est ton rapport à la poésie ? Pourquoi, selon toi, les gens ont-ils des préjugés sur la poésie ?

Je crois que de nombreux lecteurs se font une idée fausse de la poésie, probablement liée à des souvenirs d’enfance, l’obligation d’apprendre par cœur des strophes et à les réciter. De plus la poésie garde l’image d’un genre littéraire particulier, réservé à quelques initiés, alors que pour moi elle est partout. Pour preuve l’intérêt grandissant pour la scène slam qui attire beaucoup les jeunes. Les programmes scolaires n’incluent encore que très peu de poétesses ou poètes contemporains, même si j’ai découvert, il y a quelques semaines, que l’ouvrage « Mes forêts » d’Hélène Dorion serait enseigné, dès l’année prochaine, aux bacheliers français.

D’un point de vue personnel, même si j’ai toujours autant de plaisir à découvrir de nouveaux romans, je lis de plus en plus de poésie, du monde entier, subjugué par cette forme d’écriture que je compare à une flèche qui, en peu de mots, aborde l’intime et l’invisible, le quotidien et l’universel.

La poésie, c’est un peu cette réalité à la fois temporelle, intemporelle et atemporelle. En quoi le confinement peut-il être considéré comme un marqueur temporel qui a porté le temps et détourné le monde de sa vie habituelle ? Qu’a-t-il (confinement) proposé à l’humanité ?

À l’annonce du confinement, chaque individu savait, sans en connaître la durée exacte, que cette période serait transitoire et se terminerait. Mais cet enfermement involontaire, plus ou moins strict selon les pays, avec la peur d’une contamination qui pouvait devenir synonyme de mort, a obligé les différentes populations à couper les liens sociaux habituels et se retrancher derrière un écran pour télétravailler ou échanger avec ses proches, certains organisant même des apéros zoom!

A Genève, des frontières entre la Suisse et la France, pourtant traversées quotidiennement par des dizaines de milliers de personnes, étaient fermées par des blocs de béton, comme si nous étions en guerre, séparant des amis, des familles. Un tel événement ne peut donc qu’être historique, un marqueur temporel dont chacun se souviendra.

La fermeture de tous les lieux de rassemblement couplé aux frontières et aux couvre-feux ont poussé la population à vivre dans un périmètre qui s’est soudainement contracté permettant à certains de découvrir ou redécouvrir une vie différente, plus simple, sans artifices, proche de la nature et des saisons.

C’est cette sorte de parenthèse, de respiration que j’ai voulu retranscrire en mots pour en garder une trace.

Tu emploies souvent le terme de « silence » dans le recueil. Peut-on le définir en partant de ta posture ?

Il n’y a pas le silence, mais des silences. Musicien de formation, je suis très sensible aux silences entre les notes, les accords ou phrases musicales, car ils sont le fondement de la musique.

Je perçois le silence comme une respiration, un temps de réflexion entre l’énoncé de phrases, mais également entre des personnes propice à des échanges différents, d’une autre densité. Le silence permet un retour à son intériorité, à l’intime, à l’essentiel.

Dans mon travail d’écriture, j’ai remarqué, depuis des années, que j’ai de plus en plus besoin d’un environnement calme, sans musique ni éclats de voix, pour écrire. Et j’ai la chance, à mon bureau, de pouvoir ouvrir les fenêtres et entendre les oiseux, laissant entrer juste ce qu’il faut de vie pour que mon esprit soit en éveil.

Le dernier haïku du recueil est-il un appel à l’espoir ?

Fenêtres ouvertes

Des plantes dansent

Dans le reflet de la vitre

Sans respecter la métrique stricte des haïkus, j’ai voulu garder l’essence thématique de la nature (qui était par ailleurs au centre de mon quotidien et de mes pensées). Ce haïku, qui ferme ce recueil, est évidemment un appel à l’espoir. Mais j’ai remarqué, en parcourant mon livre pour cette interview, que tous les haïkus qui parlent de la nature sont porteurs d’espoir, d’un certain apaisement, parfois même méditatif.

Face à cette période trouble qui exacerbait les peurs et une certaine obscurité, j’ai ressenti le besoin, pour rompre cet enfermement, d’ouvrir grand les fenêtres pour laisser entrer cette nature, printanière, pleine de vie. Alors que les hommes étaient cloîtrés chez eux, dans un environnement confiné, la nature, elle, vivait sa perpétuelle renaissance printanière. Cette thématique s’est donc imposée d’elle-même et je souhaitais qu’elle clôture ce recueil.

Quel idéal peut-on se donner après le confinement ?

Je ne suis pas d’un caractère optimiste et malheureusement les changements sociétaux que j’avais envisagés ne se sont pas produits.

Néanmoins, si chacun d’entre nous parvenait à garder en mémoire les questions et les doutes qui sont apparus durant cette période et y revenir régulièrement, cela permettrait de ne pas oublier à quel point la liberté est importante. Liberté de mouvement, de pensée et d’écriture.

Merci Philippe !

Merci à toi, ma chère Nathasha Pemba

Par Nathasha Pemba

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