Ce roman met en scène un groupe de femmes meurtries par la vie, ayant trouvé dans une carrière de pierres au bord du fleuve, un moyen extrême de survivre. Ce travail difficile et dangereux consiste à concasser de gros cailloux, toute la journée, sous un soleil de plomb et à remplir des sacs de gravier qui sont ensuite achetés par des intermédiaires. Ces derniers font des marges colossales en revendant ce gravier destiné à des chantiers de construction. Lorsque la demande explose, les casseuses de pierres se mettent à rêver de gagner un peu plus d’argent. Elles désignent Méréana pour porter leur revendication d’un meilleur prix de vente pour leurs sacs de cailloux. Méré est une jeune femme instruite, contrainte après son divorce de subvenir seule aux besoins de ses trois enfants. Elle a atterri dans la carrière de pierres pour financer une formation qui lui permettra de rebondir professionnellement.
Emmanuel Dongala décrit fort bien les difficultés rencontrées par la femme africaine moderne. Pour se faire, il a su créer plusieurs figures féminines fortes et résilientes. Les seize femmes de la carrière de pierres ont toutes des parcours illustrant parfaitement les maux de leur société patriarcale, violente et profondément inégalitaire. Leur émancipation est souvent une résultante de la défection des hommes pourtant censés les protéger. Heureusement, l’auteur a su aussi dessiner le portrait d’autres modèles de couples, au sein duquel règnent le respect, la tendresse et la solidarité. Ce roman est également une ode à la sororité.
Lorsque leurs clients leur opposent un refus catégorique d’augmenter le prix du sac de gravier, les travailleuses choisissent de se soulever. Débute alors ce qui s’apparentera au combat entre le pot de terre et le pot de fer. La corruption règne à tous les étages et le soulèvement des travailleuses de la carrière va déranger jusque dans les plus hautes sphères. N’ayant pour elles que leur profonde conviction et leur grande détermination, que pourront-elles faire face à des cadors du régime, assistés des forces de l’ordre déterminées à écraser sans pitié leur mouvement ?
L’histoire foisonne de luttes féminines, mais elles occupent peu de place dans la littérature. Nous avons dans ce roman une belle illustration de la puissance de la contestation et de la solidarité dans la lutte contre les inégalités. Cette photo de groupe au bord du fleuve est une nouvelle photographie de l’Afrique. Elle diffère de celle que l’on nous présente souvent et sur laquelle on voit la résignation répondre à la misère et à l’exploitation. Cette photographie-ci fige dans nos esprits une image de lutte pour obtenir le respect et la dignité. Puisse-t-elle inspirer d’autres combats pour davantage de justice sociale en Afrique et ailleurs.
Certains reprocheront à l’auteur la simplicité de son écriture, mais pour moi c’est au contraire la marque d’un très grand écrivain d’être accessible au plus grand nombre. L’écriture d’Emmanuel Dongala est au service de son immense talent de conteur. La lecture de ce roman m’a fait voyager jusqu’au bord du fleuve auprès de ces seize sœurs de lutte. J’ai tremblé et pleuré pour elles. J’ai aussi ri et je me suis réjouie pour elles et surtout je ne les oublierai jamais. Je vous recommande forcément la lecture de ce magnifique roman.
Ayaba