Photo de groupe au bord du fleuve d’Emmanuel Dongala

Emmanuel Dongalaest un écrivain, dramaturge et chimiste congolais. Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1988 pour son merveilleux roman Le feu des origines, il est aussi l’auteur de l’un de mes romans préférés — Photo de groupe au bord du fleuve — pour lequel il obtient le prix Ahmadou Kourouma en 2010.

Ce roman met en scène un groupe de femmes meurtries par la vie, ayant trouvé dans une carrière de pierres au bord du fleuve, un moyen extrême de survivre. Ce travail difficile et dangereux consiste à concasser de gros cailloux, toute la journée, sous un soleil de plomb et à remplir des sacs de gravier qui sont ensuite achetés par des intermédiaires.  Ces derniers font des marges colossales en revendant ce gravier destiné à des chantiers de construction. Lorsque la demande explose, les casseuses de pierres se mettent à rêver de gagner un peu plus d’argent. Elles désignent Méréana pour porter leur revendication d’un meilleur prix de vente pour leurs sacs de cailloux. Méré est une jeune femme instruite, contrainte après son divorce de subvenir seule aux besoins de ses trois enfants. Elle a atterri dans la carrière de pierres pour financer une formation qui lui permettra de rebondir professionnellement.

Emmanuel Dongala décrit fort bien les difficultés rencontrées par la femme africaine moderne. Pour se faire, il a su créer plusieurs figures féminines fortes et résilientes. Les seize femmes de la carrière de pierres ont toutes des parcours illustrant parfaitement les maux de leur société patriarcale, violente et profondément inégalitaire. Leur émancipation est souvent une résultante de la défection des hommes pourtant censés les protéger. Heureusement, l’auteur a su aussi dessiner le portrait d’autres modèles de couples, au sein duquel règnent le respect, la tendresse et la solidarité. Ce roman est également une ode à la sororité.

Lorsque leurs clients leur opposent un refus catégorique d’augmenter le prix du sac de gravier, les travailleuses choisissent de se soulever. Débute alors ce qui s’apparentera au combat entre le pot de terre et le pot de fer. La corruption règne à tous les étages et le soulèvement des travailleuses de la carrière va déranger jusque dans les plus hautes sphères. N’ayant pour elles que leur profonde conviction et leur grande détermination, que pourront-elles faire face à des cadors du régime, assistés des forces de l’ordre déterminées à écraser sans pitié leur mouvement ?

L’histoire foisonne de luttes féminines, mais elles occupent peu de place dans la littérature. Nous avons dans ce roman une belle illustration de la puissance de la contestation et de la solidarité dans la lutte contre les inégalités. Cette photo de groupe au bord du fleuve est une nouvelle photographie de l’Afrique. Elle diffère de celle que l’on nous présente souvent et sur laquelle on voit la résignation répondre à la misère et à l’exploitation. Cette photographie-ci fige dans nos esprits une image de lutte pour obtenir le respect et la dignité. Puisse-t-elle inspirer d’autres combats pour davantage de justice sociale en Afrique et ailleurs.

Certains reprocheront à l’auteur la simplicité de son écriture, mais pour moi c’est au contraire la marque d’un très grand écrivain d’être accessible au plus grand nombre. L’écriture d’Emmanuel Dongala est au service de son immense talent de conteur. La lecture de ce roman m’a fait voyager jusqu’au bord du fleuve auprès de ces seize sœurs de lutte. J’ai tremblé et pleuré pour elles. J’ai aussi ri et je me suis réjouie pour elles et surtout je ne les oublierai jamais. Je vous recommande forcément la lecture de ce magnifique roman.

Ayaba

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimeriez lire également:

Desirada de Maryse Condé, Editions Robert Laffont, 1997

Le 2 avril 2024, Maryse Condé, autrice guadeloupéenne de renom, nous a quittés à l’âge de quatre-vingt-dix ans, laissant derrière elle un héritage littéraire monumental. En quarante-cinq années de carrière, elle a enrichi la littérature francophone de près d’une cinquantaine de récits puissants, dont les incontournables « Ségou » et « Moi, Tituba sorcière… ». Son œuvre, traduite en une quinzaine de langues, lui a valu de nombreux prix, notamment le prix Nobel alternatif de littérature en 2018. Parmi ses écrits marquants, « Desirada » explore les thèmes de l’identité et de la quête de soi à travers l’histoire de Marie-Noëlle, une héroïne en quête de ses origines et de sa place dans le monde.

Lire plus

Le continent du Tout et du presque rien de Sami Tchak

Sami Tchak est un sociologue et écrivain togolais. Il est devenu, en trente ans, une sommité du cercle des écrivains francophones reconnue dans le monde entier. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, des romans et des essais, dont plusieurs ont été traduits en italien, en espagnol et en allemand. En 2004, il est le lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire pour son quatrième roman La fête des masques

Lire plus

Les Aquatiques d’Osvalde Lewat

Osvalde Lewat est une photographe et réalisatrice franco-camerounaise. En 2021, elle publie un premier roman magnifique grâce auquel elle obtient le Grand prix panafricain de littérature de 2022. Décerné à l’occasion de la Journée internationale de l’écrivain africain, ce prix désormais reconnu d’utilité publique promeut et prime l’œuvre des écrivains du continent africain.

Lire plus

« Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Publicité

un Cabinet de conseil juridique et fiscal basé à Ouagadougou au Burkina Faso

Devis gratuit