Un jour viendra Couleur d’orange de Grégoire Delacourt

Analyse littéraire

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Honneur à Grégoire Delacourt, Un jour viendra Couleur d’orange, Paris, Grasset, 2020.

D

epuis La liste de mes envies, je guette chaque année la sortie d’un nouveau roman de Grégoire Delacourt. Ses romans me saisissent par leurs thématiques, leurs personnages, leur profondeur, leur pertinence, leur construction ou leur style. Leur style. Grégoire Delacourt a en effet un style propre à lui, style qui séduit et embarque le lecteur dans l’histoire où il trouve sa place.

D’Un jour viendra couleur d’orange, neuvième roman de Grégoire Delacourt, on sort en emportant une couleur de l’espoir des jours meilleurs. Cela tient certainement à sa particularité de mener le récit en le maintenant sur le sillage de l’humanité, mais aussi à sa capacité à traduire l’expression l’amour dans ses mots. Dans une langue très fictive et poétique, l’écrivain décrit plusieurs thèmes : la pauvreté, la violence des gilets jaunes, l’injustice sociale, l’islamisation contre les libertés de la femme, l’amour pour l’essentiel. Il parle de beaucoup de choses et beaucoup de phrases pourraient être apposées sur un mur.

Un climat

La vague jaune grondait. La fumée blanche des lacrymogènes dessinait des brouillards d’où jaillissaient des fantômes, des larmes sur les joues. Les kendokas et leurs boucliers étaient couverts de coulures acryliques et citron. Comme des crachats. Des petits tableaux de Pollock. Paris était assiégé. L’Arc de Triomphe avait été saccagé. (.) La tombe du Soldat inconnu piétinée. La colère beuglait, déchirait les tympans. Les hommes se battaient.

Une couche de la société en a marre. Pierre, vigile, frustré et fatigué de son travail, répond à l’appel à manifester contre une taxe qui augmente le prix du carburant. Les gens travaillant dans les usines et toutes les personnes ayant du mal à nouer les deux bouts n’en peuvent plus et veulent juste un peu de justice. C’est l’éclosion du mouvement des gilets jaunes. Un mouvement qui révèle une sourde colère, une colère qui ne date pas certainement d’aujourd’hui, mais qui remonte à bien loin. Un climat malsain mine cette république et finit par générer une nouvelle race de personne : les gilets jaunes. On retrouve dans cette évocation, le talent de Grégoire Delacourt, cette minutie mêlée de concision, mais aussi de passion, qui suscite une excitation auprès de son lecteur. Le sentiment de colère que l’on retrouve ici rappelle un peu celle du père de l’enfant abusé dans son roman précédent « Mon père ». Thème d’actualité, car les choses seront parfois complexes entre promesses du gouvernement et revendications des manifestants. Au gré d’une construction romanesque passionnée, Grégoire Delacourt réécrit l’histoire des gilets jaunes à partir des personnages précis.

L’amour

Plus tard, elle lui avait demandé est-ce que tu m’aimes et le garçon avait répondu bien sûr. Pourquoi? Parce que tu es mon amie. Dans amie il y a aime. Je sais, c’est une anagramme. Comme magie dans image. Beau dans aube.

Grégoire Delacourt a un rapport essentiel avec l’amour. Ce sentiment est toujours présent dans ses livres. Qu’il soit charnel ou spirituel, l’amour chez lui a toujours un sens et fait toujours du bien. Amour entre Djamila et Geoffrey, passion dans l’infini entre Louise et un patient en fin de vie, Amour pour la justice du côté des manifestants et enfin l’AMOUR de Pierre pour son fils. À partir de la rencontre entre Geoffroy, un garçon de 13 ans atteint du syndrome d’Asperger qui ne supporte pas qu’on le touche depuis sa plus tendre enfance, et Djamila, une magnifique jeune fille de 15 ans aux yeux vert Véronèse, qui n’en peut déjà plus d’être souillé par le regard des hommes, Grégoire Delacourt essaie de montrer que l’amour est le lieu où il fait bon vivre. Cependant, cet amour est un modèle parce qu’il assume les différences. « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis », a écrit Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle.

Le plus dur parfois pour un parent c’est de constater que son fils n’est pas comme les autres. Au début, cela peut être dur, mais avec le temps, il finit par comprendre qu’il doit être le premier à accepter ou tolérer cette différence. Louise, infirmière à l’étage des soins palliatifs, est certainement habituée à des situations difficiles où s’imbriquent souvent l’attachement et le détachement. Geoffroy est différent des autres enfants, et sa mère Louise sera toujours là pour lui, même si ce n’est vraiment pas le cas pour son père Pierre qui au début, ne comprend pas vraiment son fils parce qu’il n’est pas comme les autres.

Je crois qu’il existe aussi une vérité poétique. Et elle me fait peur, parce qu’elle se situe dans le cœur. Pas dans le cerveau, qui est un ordinateur. Si cette vérité est possible, alors on devrait tous se mélanger. On gommerait ainsi le blanc, le noir, le rouge, le jaune et il n’y aurait plus qu’une seule couleur. Celle de l’être humain. On ne peut pas être raciste envers soi-même. Djamila avait frappé ses mains. C’est exactement ça la poésie, Geoffroy! C’est tout ce qui peut changer le monde en beauté. Même si c’est illogique. Mais l’illogisme est encore une forme de logique, avait commenté le garçon malicieux. Alors, poursuit Hagop après cette longue explication, je lui ai répondu que les ennuis venaient quand les hommes avaient perdu le sens de la poésie. Étaient restés sourds aux murmures du cœur. Le garçon s’est habillé et nous sommes partis. Dans la voiture, il était agité. Il a commencé à taper la vitre avec son front. De plus en plus fort.

Derrière ce texte qu’imprime aussi une colère qui laisse la porte ouverte à l’espoir, Grégoire Delacourt suggère la possibilité d’un monde plus fraternel où l’amour est au cœur de l’existence. Les différentes couleurs qui forment les différentes parties du livre témoignent d’une volonté sociale et politique de voir les choses bouger. Un jour viendra couleur d’orange », c’est un vers tiré d’un poème d’Aragon chanté par Jean Ferrat. C’est aussi un roman qui se joue sur deux représentations : l’espoir des jours meilleurs malgré les misères humaines et les couleurs qui définissent le récit mettent en exergue les différentes facettes des personnages.

J’aime beaucoup les romans de Grégoire Delacourt. C’est donc tout naturellement que je vous recommande la lecture de celui-ci.

Propos recueillis par Nathasha Pemba, 17 février 2021.

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