Bonjour Marie-Eveline Belinga et bienvenue au Magazine OU’TAM’SI. Pour nos lecteurs qui seront très ravis de vous découvrir, pouvez-vous nous dire en quelques mots qui vous êtes ?
C’est une belle et vaste question. J’aimerais dire que je me sens profondément africaine. Les expériences de socialisation que j’ai vécues sur le continent africain ont imprégné mon regard sur la vie, mon sentiment de fierté et mon désir de partager ce riche patrimoine. Étant mère de deux enfants et tante de plusieurs neveux et nièces de 7 ans à 21 ans, je me sens responsable de transmettre aux enfants qui m’entourent l’importance du dialogue, de l’écoute et de la connaissance de soi. Les contes philosophiques africains que j’anime, crée et partage, sont autant d’occasions d’entrer en relation avec les jeunes générations, mais aussi de susciter en elles la joie, la curiosité et un sentiment d’épanouissement lié à la découverte d’histoires mettant en lumière la place des valeurs et de l’éthique dans nos vies et nos apprentissages.
Elles sont peu nombreuses, les femmes qui étudient la philosophie. Pourquoi avoir choisi la philosophie et pourquoi se spécialiser en éthique et contes philosophiques africains ?
Quelle belle question et je vous remercie de prendre le temps de mettre en lumière le fait que les femmes, particulièrement les femmes africaines, soient peu nombreuses dans nos institutions universitaires à pratiquer cette riche et passionnante discipline qu’est la philosophie. Je pense que ma volonté de persévérer dans cette discipline en proposant de nouvelles perspectives à travers les contes philosophiques africains vient du fait que, très jeune, j’ai eu l’intuition que mon éducation morale, intellectuelle et spirituelle s’est enrichie auprès des femmes qui m’ont éduquée. Je pense que la transmission orale a été une opportunité inestimable de stimuler ma pensée, ma créativité et ma curiosité. La pratique des contes philosophiques africains est une façon pour moi d’honorer et de mettre en lumière le rôle des femmes, particulièrement des femmes africaines, dans l’édification d’une culture philosophique de la paix, du dialogue et du raisonnement. Et ce dès l’enfance.
Vous avez une longue expérience en enseignement et aujourd’hui vous êtes à l’initiative de Penser et Grandir, une entreprise d’animation éducative pour enfants. Pouvez-vous nous raconter l’histoire derrière le lancement de ce projet ?
Penser et grandir pour la vie est arrivée à une période de ma vie professionnelle au cours de laquelle j’ai remis en question le sens et le rôle de ma pratique de la philosophie en contexte occidental. J’avais le sentiment après de longues études universitaires en philosophie au Québec et l’enseignement de la philosophie au Cégep, que je ne me sentais pas représentée en tant qu’Africaine dans les corpus philosophiques traditionnels. Je me suis aussi questionnée sur l’effet du colonialisme sur nos patrimoines philosophiques africains et la place que je souhaitais prendre désormais dans cette réflexion en tant que philosophe. J’ai été bercée par différents contes africains dans mon enfance et j’avais l’intuition que pratiquer la philosophie telle que j’y avais été initiée pourrait non seulement me faire du bien, mais pourrait permettre à d’autres familles qui ne vivent pas sur le continent africain de (re)découvrir un patrimoine ancestral exceptionnel. Entourée de ma famille et d’amies précieuses, j’ai lancé penser et grandir pour la vie en 2017. L’aventure continue !
Le conte africain est devenu sans doute votre spécialité et il constitue l’essence même de vos enseignements. Quel est cependant l’objectif principal de vos contes ?
Le principal objectif est de développer les habiletés telles que le raisonnement et la réflexion dès le plus jeune âge. La capacité à dialoguer de manière pacifique et à se questionner sur le sens de nos actions humaines participe aussi à cet objectif. Sans oublier la mise en valeur du patrimoine intellectuel et culturel africain.
Vous êtes l’auteure d’un conte intitulé Kulu et la Sagesse ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Quels liens faites-vous entre le conte africain et l’identité culturelle africaine ?
Il n’y a pas qu’un conte africain, mais une multitude de contes africains en fonction des régions de l’Afrique, des cultures, des croyances. Je continue à m’émerveiller de la richesse du patrimoine oral transmis à travers les contes. La tradition des contes africains participe à une démarche relativement commune partout en Afrique. Même si les thèmes abordés et les visées des contes africains peuvent être différentes (contes philosophiques, contes initiatiques, contes spirituels, légendes, proverbes), il est probant que les contes africains jouent un rôle fondamental dans les communautés pour faire vivre la culture, les valeurs, les normes, les principes qui définissent le groupe. Nous pouvons donc en conclure, que les contes africains participent à la construction et au renforcement identitaire des groupes et communautés qui les pratiquent et les partagent. Grâce à l’oralité, ils traversent les frontières et deviennent des outils éducatifs pour l’humanité.
Comment définir la femme noire francophone aujourd’hui au Canada ?
Vous posez de grandes questions ! Il y aurait tellement à dire. Je dirai d’un point de vue personnel que je pense qu’être une femme noire francophone au Canada est avant tout être une personne résiliente, fière et inspirante. C’est être une personne riche de sa diversité, de ses héritages. C’est être une personne généreuse. C’est être une personne engagée à partager et cultiver auprès des enfants, des familles, des communautés, le sentiment si puissant et si fort d’être Noire, Africaine et Francophone.
Le monde est aujourd’hui à la croisée des chemins, après une crise sanitaire assez violente ; quels regards éthiques portez-vous sur son évolution, du point de vue du vivre-ensemble, de l’apparente incontournable intelligence artificielle ? De quelles façons, selon vous, doit se constituer l’humanité de l’Homme désormais ?
L’Histoire nous a prouvé à maintes reprises que le vivre-ensemble et l’incapacité du vivre-ensemble en tant que concepts cohabitent. Il est impossible de généraliser, mais on peut se questionner sur le sens que revêt le vivre-ensemble pour soi d’abord et des outils concrets à notre disposition pour développer des savoir-être et des savoir-faire en communauté. La question qui me vient à l’esprit : « avons-nous dans notre humanité les habiletés à cultiver et à incarner des cultures du vivre-ensemble, avec ou sans le soutien des nouvelles technologies ? ».
Si Marie-Eveline était un livre de philosophie, lequel serait-ce ?
J’espèrerai être : Petite philosophie du bonheur par Bertrand Vergely.
C’est un chemin que j’explore à travers les saisons de ma vie.
Y a-t-il, selon vous, une réalité qui vaut plus que le bonheur sur terre ?
La pratique de la sagesse
Quel est votre secret pour retenir l’attention des enfants lors d’ateliers philosophiques ?
L’humour, l’écoute, l’art du conte et les encouragements.
Quelle est la rencontre la plus déterminante de votre vie ? Et pourquoi ?
Les petites dunes qui existaient à l’arrière de mon école primaire enfant. J’y ai fait la rencontre symbolique du silence, de l’immensité et de l’humilité en apprenant à contempler ce qui était plus grand que moi. J’ai appris à me questionner sur ma place dans le monde, dans l’univers et sur le sens de mon humanité face à une étendue si belle et si intimidante.
Quelle est la question que vous aimerez poser aux philosophes africains aujourd’hui ?
Quelle place et quels efforts sont déployés pour mettre en valeur les contributions philosophiques des femmes dans les philosophies africaines.
Le mot de la fin…
Merci de m’avoir permis de passer ce merveilleux moment de réflexion. Mes chaleureuses salutations à toute la communauté.
Liens vers la pratique des contes philosophiques africains
Liens à consulter
Par Franckh Esperant NOMBO