L’espoir d’une vie heureuse – Cheikhna Diop

Cheikhna Diop au travers de la conversation qu’entretient Dior avec Aidara, la triste existence qu’a menée cette dernière dans le cadre de son mariage. Ce roman aux airs d’« Une si longue lettre » de Mariama Ba dépeint la condition d’une épouse musulmane ainsi que quelques-unes des vicissitudes auxquelles elle doit faire face : soumission au mari et à la belle famille, dépendance économique, violences de tout ordre et bonheur dépendant de ce que penseront les autres, pour ne citer que celles-là.

Sale garce ! Comment tu as pu me faire cela ? Ai-je mérité cela de toi ? N’ai-je pas tout fait pour toi ? Tu n’es qu’une pute ? Mais je vais te tuer aujourd’hui et me donner la mort après. Tu me fais honte. Que vais-je dire à tes parents, à mes amis ? » 

Voilà en substance les paroles adressées par Ibra Deguene à son épouse Dior à l’issue de la nuit de noces qui venait de sceller leur destin commun d’époux. Quel crime a-t-elle commis pour être invectivée de la sorte par son mari ? Celui de ne pas avoir saigné lorsqu’ils se sont unis pour la première fois.

Cheikhna Diop relate au travers de la conversation qu’entretient Dior avec Aidara, la triste existence qu’a menée cette dernière dans le cadre de son mariage. Ce roman aux airs d’« Une si longue lettre » de Mariama Ba dépeint la condition d’une épouse musulmane ainsi que quelques-unes des vicissitudes auxquelles elle doit faire face : soumission au mari et à la belle famille, dépendance économique, violences de tout ordre et bonheur dépendant de ce que penseront les autres, pour ne citer que celles-là. À travers des thèmes tels que la drogue, l’alcoolisme et le surendettement, l’auteur met le doigt sur des fléaux qui gangrènent non seulement la cellule familiale, mais également la société sénégalaise. Mais face à ces nombreuses difficultés, Dior n’a de cesse d’aspirer à une vie heureuse qui semble, toujours plus, lui échapper.

Début d’un mariage difficile

Issue d’une fratrie de 4 filles, Dior et ses sœurs n’ont pas connu leur père. Enseignante, leur mère a mis un point d’honneur à subvenir à leur besoin et leur permettre d’accéder à une éducation de qualité. Fervente musulmane mouride, elle les a élevées dans le respect de la foi et des traditions, accordant une place d’honneur à l’unité de la famille.

Lorsque Dior informe sa mère de sa volonté d’épouser Ibra, frigoriste d’une quarantaine d’année, elle consulte les devins comme il se doit. Ces derniers leur promettent un avenir peu radieux. Mais désireuse de ne pas semer la discorde avec sa fille en lui opposant un refus, la mère de Dior accepte cette union. Très vite, les choses tournent mal.

Après une nuit de noces chaotique, Ibra qui ne laisse aucune possibilité à sa jeune épouse de s’expliquer se mure dans le silence puis l’alcool et la drogue tant il se dit déçu. N’hésitant pas à la diffamer auprès des siens, il la maltraite et l’envoie vivre auprès de sa mère âgée sans plus se soucier d’elle.

Lasse de vivre dans cette extrême précarité et d’être quotidiennement brimée, Dior, enceinte, affronte son mari et lui signifie l’imminence de son retour à la capitale. Ce dernier essaie de la faire changer d’avis, invoquant l’état de santé de sa mère qui nécessite d’avoir quelqu’un à ses côtés pour prendre soin d’elle, mais Dior se montre inflexible au grand dam de son époux.

Des promesses non tenues

De retour à Dakar, Dior veut ramener la paix dans son foyer. Elle se lance dans le commerce de vivres frais. La vie semble plus douce. Cependant, cette accalmie s’avère de courte durée, car Ibra est arrêté pour trafic de stupéfiants.

En dépit de son étonnement et de sa colère, elle met tout en œuvre pour faire éviter la prison à son mari, mais rien n’y fait : Ibra est condamné à 6 mois de prison. Dior est livrée à elle-même. Sans ressource et lourdement endettée, avec 2 enfants à charge, le soutien financier que lui apporte son ami policier est pour elle une véritable manne tombée du ciel. Mais cette relation amicale devenue charnelle est portée à la connaissance d’Ibra qui la répudie depuis sa cellule de prison sans autre forme de procès. Dès lors, tout bascule dans la vie de la jeune femme. Face à la déception, aux nombreuses promesses non tenues de son mari et à sa négligence, Dior est meurtrie :

Pour la première fois de ma vie, je venais de faire un acte répréhensible et condamnable et par la loi et par la morale. Je suis une femme mariée et bien que je ne fusse pas heureuse dans mon ménage, je n’avais pas à commettre l’adultère sur le dos de mon mari cloué en cellule

Et malgré tout ce qu’elle a subi de la part de son mari et de sa belle-famille, elle sait pertinemment qu’elle « endosserait tout »

On mettrait tout sur mon dos. Sa responsabilité dans cette sordide affaire ne serait pas engagée. Ne m’avait-il pas obligée implicitement à commettre de tels actes ? que la vie est ingrate… une multitude de questions me tourmentaient et me laissaient désarmée face à cette nouvelle épreuve qui se profilait à l’horizon

C’est donc avec surprise que l’on découvre une Dior faillible, et partant plus humaine et accessible. Ici ce n’est plus la petite fille modèle, obéissant aveuglément à sa mère que le romancier sénégalais dépeint, mais une femme lasse d’avoir supporté l’insupportable des années durant, ayant besoin d’une épaule sur laquelle se reposer. Une personne qui accepte ses limites et sa responsabilité, contrairement à Ibra, à qui elle dira lorsqu’il reviendra vers elle :

En parlant de nous, tu as parlé tantôt de droits et d’obligations entre époux, mais je te rappelle qu’avant d’espérer des droits, il faut s’acquitter de ses devoirs. Ce qui est loin d’être ton cas. Une femme, c’est d’abord du respect et de la confiance. Tu n’as pour moi ni l’un ni l’autre… Dieu sera notre seul juge

Dieu, notre seul juge

Si à plusieurs reprises j’ai décroché de ma lecture, trouvant que l’histoire mettait du temps à démarrer, trainant en longueur sur un peu plus de la moitié du livre, je ne regrette pas d’avoir persévéré, car les thèmes les plus intéressants et les mieux abordés n’arrivent qu’au dernier tiers du roman.

Quelle est la part de responsabilité d’un conjoint dans l’infidélité de son partenaire ? Hommes et femmes sont-ils égaux devant l’infidélité ? Est-on une mauvaise personne lorsqu’on atteint certaines limites ? Autant de questions que sous-tendent les propos de Dior.

Mais le silence d’Aidara à qui elle s’adresse, tout comme sa phrase : « Dieu sera notre seul juge » semblent indiquer qu’il n’y a point de réponse humaine toute faite. Alors qu’elle s’attendait à du jugement voire à du rejet de sa part, Aidara fait preuve de compréhension, de tolérance et de compassion à son endroit. Il l’invite à continuer à croire en elle et à être positive. Son expérience personnelle lui a permis de réaliser que « la patience finit toujours par payer ».

Tant de bonté et de douceur ne manquent pas de susciter l’intérêt de Dior pour cet homme, Aidara.

Je mettrai toute mon énergie à conquérir cette âme noble et généreuse. J’ai le droit d’être heureuse comme les autres, m’a-t-il dit tout de suite … Et si Dieu l’avait mis sur mon chemin pour que ma vie prenne une nouvelle tournure et une autre direction? 

Avec cette ultime interrogation qui marque la fin du roman, Cheikhna Diop nous laisse penser qu’une suite est envisageable. A nous de la deviner en attendant, pourquoi pas, un second roman ?

Erna Ekessi

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