Il est des moments où tout devient sombre autour de nous. Plongé dans un état d’abattement, l’on n’est qu’une loque sans force ayant de justesse survécu aux soubresauts de la vie, un impuissant vestige alangui de la cruauté d’un monde où la tempête souffle sans cesse. Et n’hésite guère à saborder même la corolle des fleurs qui porte pourtant l’espoir d’un bonheur à venir. Les mots pour le dire s’évadent, l’on devient aphone, et la mémoire semble formatée.
C’est le vide total/c’est-à-dire ce qui reste/après les ravages/de la tempête secrète/qui sévit/depuis que ce siècle impitoyable/détonne/contre la conscience/déclenche ses milliers/de tremblements de cœur/depuis que ses coquelicots/mitraillent de pavots/les fronts/cisaillent les écrans des rêves/en bandes cristallines/aussi liquides qu’une lave/coulant indomptable/le long de l’iris
Malgré ce matin au présage nébuleux,
Il faut recouvrer les traces/de ce que les pieds ont foulé/et les mains effacées/pas pour déconstruire/plutôt dans l’acte de tendre/chercher à frôler/étreindre/ce qui s’étiole/lorsque les chapiteaux/les poutres/les arcs/les échelles/imposent leurs tracés/alors que les nerfs/tissent leurs portiques/en charpentes d’infini
Il faut bien trouver la force d’avancer, de faire taire le silence devenant assourdissant, de chasser le vide. Les mots parviennent au bout de l’effort. Le silence cède la place au bruit.
Un bruit/[qui] monte/en taches d’encre de Chine/sur la feuille/alphabet de l’attente/mouvance vers le premier mot/le halètement/le grondement du cœur/dans les imperceptibles tremblements/de la main/qui dicte au souvenir/l’ossement du jour
Le bruit vient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Il est porteur d’un message. Le message de l’espérance. L’espérance de la mise en branle de l’absence. Mais il faut pouvoir capter ce message, aussi compliqué à décoder qu’il soit : « Quelque chose se dit/en réverbérations/difficiles à déchiffrer/petites boîtes/trop longtemps enfouies/au fond de la mémoire/fleurs vertigineuses/prêtes à germer ».
Le jour se lève enfin, revêtu de sa plus belle parure : le soleil. Ce lever de soleil est de grande préciosité. Il dévoile toutes les espérances d’un jour nouveau, dont la matinée semble différente des autres à cause de « ses tsunamis », « ses ombrages » et « ses tourbillons ». La fenêtre est cette passerelle qui s’ouvre à l’horizon et projette. L’ouverture fait éclore la beauté de la nature et laisse transparaître les premiers rayons solaires réparateurs et libérateurs.
J’ouvre les volets/afin de tendre contre l’iris/le précieux lever/clé qui libère la peau/et les nerfs/et de son grincement/greffe sur la paupière/l’image à déconstruire/l’écaille à soustraire/de son propre mouvement/le rythme et la profondeur/à donner/aux ruées infinitésimales/du soupir/qu’exhale/l’aube
L’on retrouve peu à peu sa forme des autres matins. L’inspiration est plus fluide. La disette de mots du départ se rue progressivement vers une floraison continue. Les idées emplissent la mémoire. Tout s’ordonne et l’on se laisse emporter. Mais l’écho du désir est persistant et perturbant :
C’est un écho/non/c’est autre chose/qui n’a pas encore de nom/une langueur/une lassitude/une désespérance espiègle/insistante/un sang vorace/qui fait ses ravages dans les artères du désir/cela ose s’annoncer/s’impose/s’inscrit quelque part/à l’intérieur du mot enfin prononcé
Ce recueil de poèmes de Paul Savoie est à l’image d’une vie. Le poète explore l’Homme de manière allégorique dans ses réalités quotidiennes. Il présente un « moi » tiraillé entre la joie et la douleur, l’espérance et la désespérance, la peur et le courage, la force et la paresse. Chaque destinée s’entoure d’incessants rebondissements et s’accompagne de surprises, qu’elles soient agréables ou désagréables. Les saisons sont aussi nombreuses que protéiformes. Les unes sont moins clémentes les autres. Il faut savoir le comprendre et s’y accommoder !
Boris Noah