Génération sandwich de Hélène Koscielniak

Analyse littéraire

Nos rédacteurs chevronnés décortiquent, décomposent, passent les ouvrages littéraires francophones au peigne fin pour observer le sens, la structure et la portée d’une parution récente ou vous font redécouvrir un grand classique. 


Honneur à Hélène K, Génération sandwich, Ottawa, l’Interligne.

A

utour d’une réalité constante, apparemment courante, Hélène Koscielniak signe un roman passionnant sur les générations, sur la vieillesse et sur la responsabilité pour soi. 

Lianne est une victime. Elle croyait que la soixantaine la libèrerait de certains devoirs familiaux. Pourtant, elle se retrouve prise en sandwich entre les exigences de son travail, les besoins de son père souffrant d’Alzheimer, ceux de ses enfants devenus grands et malheureux, et ceux de sa petite fille qui se définit comme une transgenre. 

ls ont souvent un emploi, à temps plein. Avec les vieux parents qui vieillissent, qui ont besoin de soins et d’attention, c’est très exigeant. Et quand leurs propres enfants reviennent vivre à la maison, on imagine ce que ça peut faire comme exigences (Hélène Koscielniack sur RC)

La question qui oriente ce roman est avant tout une question de liberté, une revendication du désir de la réalisation d’un bien-être personnel. Si l’on se réfère au sens premier de l’expression “génération sandwich”, il apparaît clairement que pour l’auteure de ce roman la question se pose entre les devoirs filiaux, parentaux et l’exercice de sa propre liberté. En effet, la génération sandwich regroupe des séniors qui ont entre 45 et 65 ans, à la fois aidants de leurs enfants, jeunes adultes pas tout à fait autonomes et de leurs parents, de plus en plus dépendants. 

Prise en sandwich entre son père et ses propres enfants, tantôt son frère et ses petits-enfants, Lianne, le personnage central du roman, se sent submergée et anéantie. 

Comme elle sait si bien le faire, Hélène K. scrute les profondeurs de la vie quotidienne pour toucher du doigt le mal être social derrière lequel semble se conformer tout le monde depuis toujours. 

Un esprit de solidarité, éphémère et solide à la fois, caractérise le noyau familial décrit dans “Génération sandwich”. Lianne, l’héroïne du roman raconte les épisodes de sa vie où il lui a fallu devenir le centre de tout, non pas par choix, mais par devoir, par habitude ou par tradition. Mère de famille, épouse, fille de son père, sœur de son frère, mère de sa fille et grand-mère de sa petite fille, elle est à bout, mais n’ose pas le montrer parce qu’elle porte le titre de superwoman. 

Le récit de Lianne a une visée ouvertement décisive et frondeuse. Il se focalise néanmoins sur l’idée de possibilité qu’offre la vie. Pour elle, la vie n’est pas une prison où on se met au service de l’autre au point de s’oublier soi-même et de devenir grincheux au point devenir le lieu de décomposition de la cohésion sociale. 

Génération sandwich décrit un égarement existentiel devenu normalité. Le texte d’Hélène Kosciesniack foisonne d’un champ lexical du sacrifice de soi et de la responsabilité (ou l’irresponsabilité) pour montrer que la personne prise en sandwich -celle à qui incombe une certaine responsabilité- peut entretenir une irresponsabilité face à elle-même. Par conséquent, si prendre soin des siens est une responsabilité, ne pas prendre soin de soi est une irresponsabilité. Les souvenirs rapportés par Lianne en témoignent. Le récit se tient comme un arc autour de deux parties éminemment inégales. 

La première partie présente différents visages qui contribuent à la mise en sandwich de Lianne. Cette partie tourne autour de Dominique, son père souffrant d’Alzheimer et qui refuse d’aller en résidence pour personnes âgées. Il y a, entre autres, André l’époux de Lianne et Jean-Guy, le frère de celle-ci. Il y a en outre la fille de Lianne et son époux ainsi que leur fille qui rêve de devenir un garçon. Autant de situations à régler. Toutefois, si les situations s’imbriquent les unes dans les autres, la chronologie littéraire du roman demeure saisissable. Et le lecteur parvient à cerner le tourment intérieur du personnage principal. 

Notons tout de même que certains discours donnent l’impression d’une autobiographie. 

La deuxième partie, plus courte, et plus puissante, commence par un questionnement sur la notion de temps. Pour Lianne :

Le temps est un sujet qui l’a toujours intriguée. Il existe bien qu’il soit invisible, insaisissable, silencieux, inodore et insipide. En d’autres mots, il ne répond à aucun des cinq sens. Pourtant, on est conscient qu’il est là.

Dans cette méditation sur le temps, Lianne pense à son passé et à sa manière d’entrer dans l’avenir : ce temps qui l’a usée, qui l’a rendue éthérée, qui a ridé son visage, qui a diminué ses forces et affaiblit sa mémoire. Ce temps qui nous gouverne et contre lequel on ne peut rien. Elle se souvient des paroles de son père :

Toi aussi, tu vas être vieille un jour! Tu verras bien que ce n’est pas drôle.

Génération sandwich dénonce le sacrifice d’une catégorie de personnes coincées entre les différentes générations de sa famille. Il dénonce le sacrifice de la liberté et de la réalisation de soi au profit de sa famille. Il dénonce une épreuve perpétuée qui montre une unité familiale qui n’est parfois qu’apparente parce qu’en famille on ne peut se reposer une seule personne. 

Rêvant de se réaliser après la réalisation des siens, Lianne tente de se frayer un chemin, de se donner la possibilité d’exister, même après 80 ans. Après tout, tant qu’on vit pourquoi penser à la mort 

Lianna a l’impression de commencer une autre vie après diverses situations :

*La mort de son père

*Le décès de son conjoint

*Le suicide d’un proche

*Le divorce de sa fille. 

Le plus important pour elle, dans cette expérience, c’est de vivre sa vie. Vivre tout simplement. 

L’éloge de la vieillesse 

Lianne cite Rose Legault :

Il y a deux sortes de vieux : les vieux jeunes et les vieux vieux. (. ) être vieux c’est d’abord un état d’esprit. On peut être vieux à 40 ans et jeune à 90 ans. Le vieux jeune est alerte et curieux, épris de la vie comme de l’amour, de la culture comme de la beauté qui l’entoure, faisant fi de la laideur morale et de la médisance. Trop occupée à s’instruire, à connaître le monde d’ici et d’ailleurs (. ), il (. ) traduit les évènements du passé tout en s’affranchissant : il s’intéresse à l’actualité et, de surcroît, il se porte garant de. culture et d’émancipation politique. C’est le sage que beaucoup d’enfants rêvent d’avoir comme grands-parents.

La force de la description que développe l’auteure du roman enrichit la narration. Le sacrifice de Lianne est renforcé par l’évocation de quelques souvenirs qui nous placent devant les questions sociales les plus pertinentes. Le souci du détail est d’une importance particulière qui fait de ce roman quelque chose de particulier. La dernière partie est un message d’espoir : vivre malgré tout et se donner du temps pour soi. Il n’y a pas que la vieillesse qui n’est pas drôle, il y a aussi la vie. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre ensemble ces deux réalités en cultivant la positivité. Lianne se rend compte que si la vieillesse est inévitable, il faut être capable de l’assumer, vivre le temps tel qu’il se présente à nous.


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