L’automne c’est le meilleur temps pour marcher dans le bois
Si l’on parle souvent de la littérature québécoise, il est aussi essentiel de souligner la richesse des thématiques qui la caractérisent. Ainsi, parmi les écrivains qui ont choisi de prêter leur plume au Grand Nord, on compte de manière incontournable Juliana Léveillé-Trudel. En effet depuis l’apparition de Nirliit, son premier roman, L’auteur continue à montrer son attrait pour ce coin du pays.
Dans son dernier roman intitulé On a tout l’automne publié aux éditions La peuplade, Juliana Léveillé-Trudel revient sur son expérience au Nunavik.
Le personnage principal va à la rencontre des vestiges d’un certaine époque, parce que parfois pour survivre, nous avons besoin de souvenirs. Le but du voyage est donc précis et clair. Renouer avec une certaine époque et expérimenter la force du souvenir, enseigner, transmettre parce que les communautés survivent grâce à la transmission. À cette aune d’ailleurs, il est possible de considérer On a tout l’automne comme une variation, peut-être davantage aboutie, de Nirliit. Avec On a tout l’automne, le sentiment de la gravité de la condition humaine, à travers l’idée de retour ou recours, s’est retourné sur l’espace et le temps : l’auteur s’appuie sur le souvenir pour être avec. Dans cette réalité spatio-temporelle, l’automne n’est pas seulement une saison; il est un lieu, le lieu, le lieu intemporel où tout se vivra, se dira, se transmettra ; l’essentiel. Ce qui compte, juste ce qu’il faut. L’inuktitut est pour la jeune femme son devoir, son tremplin et son altérité. Les liens sont pour elle ce qui compte, liens par les retrouvailles avec des personnes, des habitudes, des odeurs…
Elle voudrait peut-être de la musique, mais je ne connais pas ses préférences. Je lui siffle une mélodie que ma mère aimait.
Quand vous mourrez de nos amours
J’en ferai deux livres si beau
Qu’ils vous serviront de tombeaux
Une œuvre à l’intérieur de soi, le deuil de la mère, la force des amitiés et du souvenir.
L’intrigue est ponctuée de tendresse et de douceur. Au cœur de la communauté, elle porte le souffle de l’universel. Le style bien que fluide porte l’élan de ce qu’écrivait en son temps Gustave Flaubert : « le style étant à lui seul une manière absolue de voir les choses ».
L’intrigue tient ici à la permanente action d’une âme, d’une enseignante-pont, revisitant ses lieux de vie et de réalisation où chaque famille, chaque être a ses secrets, chaque élève a ses réalités et où la toundra a ses habitudes. Détail qui a son importance : la jeune femme perçoit ses sentiments comme l’automne. Métaphore qui signifie le caractère passager, mais permanent de tant de choses, passager parce que l’automne est l’antichambre de l’hiver, et permanent parce qu’il revient chaque année.
La puissance de souvenance du roman de Juliana Léveillé-Trudeau, sa prose posée, poétique, fine mais toujours distinctive et cadencée, cet éclat d’étrangeté merveilleuse dont elle arrose cet univers apparemment fini et achevé, donnent à son réalisme une dévotion poétique qui conduirait le lecteur à se mettre dans la peau de divers personnages du roman.
Hommage à la mère, ce roman est aussi une ode au Grand Nord comme lieu d’accomplissement, de transmission, du vivre-ensemble et de renaissance.
Un roman dont je recommande la lecture, car une fois de plus l’auteure a su démontrer ses qualités d’écrivaine.
Nathasha Pemba